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membres sont enchaînés, plus elle implique la profonde individualité de ces membres. C’est au fond de nos consciences personnelles que la vraie société existe, celle qui est parce qu’elle est conçue et voulue.

On se souvient que le XVIIIe siècle considérait les individus comme des espèces d’atomes vivans qui, mus par l’intérêt, s’unissent en société. C’était alors le règne de l’individualisme utilitaire, que Volney enseigna aux enfans dans son « catéchisme. » Nietzsche n’a fait qu’y substituer un individualisme non utilitaire de puissance déployée. Mais la science moderne a détruit ces théories en approfondissant davantage et la nature de la vie et la nature de la conscience. Dans l’être vivant, la biologie nous a montré une société d’êtres vivans, qui elle-même ne subsiste et ne se développe qu’à l’aide d’une collection plus vaste, avec laquelle elle soutient des rapports nécessaires. Un individu entièrement isolé, un atome vivant, un centre de puissance atomique, au point de vue des lois de la vie, est une contradiction ; il ne pourrait ni se nourrir, ni se reproduire : il ne pourrait vivre. La psychologie physiologique, dans notre conscience, retrouve l’action finale d’une multitude de tendances élémentaires, inhérentes aux particules de l’organisme. Dans chacune de ces tendances la psychologie découvre, avec une sensation sourde et un sourd appétit, un rudiment de conscience. Enfin la sociologie nous montre dans la société le vrai milieu en dehors duquel l’individu humain, de quelque volonté de puissance qu’il soit doué, ne peut se développer humainement. Telle est, selon nous, la base objective des théories aujourd’hui en faveur sur la solidarité. Mais ces théories, qui ont pénétré dans l’enseignement et y rendent de grands services, ne sont encore qu’empiriques : elles ont besoin d’un fondement rationnel. Ce fondement, selon nous, est dans la nature même du sujet pensant et de l’acte de pensée, qui, posant les autres et le tout en même temps que le moi, est social par essence. Tel est le point de vue que, pour notre part, nous avons depuis longtemps proposé. L’être qui dit : « Je pense, donc je suis, » constitue par cela morne une individualité qui se crée en se pensant ; il ne peut donc être absorbé ni dans la nature, ni dans la société. Mais, d’autre part, la nécessité qui s’impose à la pensée d’avoir des objets et de se les représenter sous la forme de sujets plus ou moins analogues à elle-même, cette nécessité change