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exactement le cas de M. Bourget. Qu’on veuille bien relire les articles que de 1879 à 1886 il a donnés au Parlement, au Journal des Débats, à la Nouvelle Revue, et dont il a recueilli un certain nombre dans ses Études et Portraits : il n’en est aucun qui ne fit le plus honneur à un critique de profession. On peut ne pas être entièrement de l’avis de l’écrivain sur Chateaubriand ou sur Barbey d’Aurevilly : il serait imprudent, même pour le contredire sur ces divers sujets, de ne pas s’enquérir de sa manière de voir ; il serait plus imprudent encore, sur Pascal et sur Vigny, sur Rivarol et sur Lamartine, sur Victor Hugo et sur George Sand, de formuler un jugement d’ensemble, sans avoir médité au préalable les courtes, mais fécondes études que M. Bourget a consacrées à ces penseurs ou à ces poètes. S’il m’est permis d’apporter ici un témoignage personnel, je dois beaucoup pour ma part à l’article que, dès 1879, M. Bourget écrivait sur l’auteur des Pensées, et je suis bien sûr que les « pascalisans » qui ont lu cet article n’auront aucune peine à me comprendre. Qu’on fasse mieux encore. Qu’on lise, dans la Revue, — à défaut des feuilletons dramatiques que, pendant trois ans, de 1880 à 1883, M. Bourget a donnés au Globe et au Parlement, et qu’il n’a pas recueillis en volume, — qu’on lise les trois ou quatre chroniques théâtrales que, vers la même époque, 1880, il a signées ici même. Qu’on lise surtout ici encore, puisque son auteur semble l’avoir oublié, le premier article que M. Bourget ait publié dans la Revue, sur le Roman réaliste et le Roman piétiste, et qui, fond et forme, est si remarquable. Cet article est daté de 1873. Qu’un écrivain de moins de vingt et un ans puisse, en un sujet si délicat et si complexe, faire preuve d’un jugement si mûr, d’un sentiment si vif des nuances littéraires et morales, d’une pénétration psychologique et philosophique si rare, d’une décision de pensée si ferme, d’une entente si complète de la composition et du style, c’est de quoi étonner tous ceux qui savent juger des « ouvrages de l’esprit. » Il était évident pour ceux-là qu’un critique de premier ordre nous était né.

La suite ne devait pas démentir ces heureuses promesses. Quand M. Bourget n’eût écrit que les quelques articles qu’il a cru devoir jusqu’ici réunir en volumes, son œuvre compterait dans l’histoire de la critique contemporaine infiniment plus que celle de tant d’autres critiques professionnels qui se croient