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saignant sur son chemin, et il passait outre. » La triste animalité qui est à la base de presque tous les amours coupables, personne peut-être, de nos jours, ne nous l’a fait plus vivement sentir. Non qu’il intervienne trop directement dans ses récits : mais à des mots qui, çà et là, lui échappent, à la profondeur de certaines analyses, de certaines paroles et de certains gestes de ses personnages qui ont comme un accent personnel, on devine une pensée invinciblement hantée par les notions les plus fermes et les prescriptions les plus rigoureuses de la morale chrétienne. Un janséniste même n’est peut-être pas plus sérieusement pénétré que l’auteur de l’Irréparable, de l’idée du péché, de la réalité de la faute originelle et de ses infinies conséquences. La frivolité insouciante d’un Voltaire réfutant les Pensées de Pascal est la disposition, la plus contraire à la sienne : « Dans ce ténébreux univers de la chute[1], » il ne voit partout que « cruelles énigmes » à résoudre. Et même les objections que le rationalisme courant dresse contre la solution chrétienne ne lui paraissent pas insurmontables. Relisez là-dessus le curieux, l’émouvant avant-dernier chapitre d’Un crime d’amour : « Pourquoi cette énigme de la vie, indéchiffrable par la raison, de l’aveu même de cette raison, ne serait-il pas un mot sauveur, un mot qui réparerait l’universelle détresse d’ici-bas ?… Il apercevait le grand, l’unique problème de la vie humaine, et que la religion seule résout, celui de savoir s’il y a par-delà nos jours bornés, nos sensations courtes, nos actions passagères, quelque chose qui ne passe pas et qui puisse contenter notre faim et notre soif d’infini. Armand devait peut-être redevenir religieux un jour ; à l’heure présente, il ne l’était pas, et il se répondait à lui-même : « S’il n’y a rien, pourquoi ces affreux remords ?… » Et où finit-il par trouver « le principe de salut qu’il n’avait pu obtenir de l’impuissante raison et que les dogmes de la foi ne lui avaient pas donné, puisqu’il n’y croyait pas ? » Dans la charité : « Et il éprouva qu’une chose venait de naître en lui, avec laquelle il pourrait toujours trouver des raisons de vivre et d’agir : la religion de la souffrance humaine[2]. »

Solution bien vague, et probablement provisoire ; solution à

  1. Dernières lignes de Cruelle Énigme (édition définitive).
  2. Un Crime d’amour, édition originale, p. 279, 280, 282 ; 298-299. — Le texte de la Nouvelle Revue est un peu différent : « et que les religions résolvent seules… » Et dans l’édition définitive : « Le respect, la piété, la religion de la souffrance humaine. »