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et une précision absolue, car, même blessé, l’animal disparaît dans un terrier voisin. Néanmoins, nous aurions trouvé là une ressource réelle, car on sait que la chair de la marmotte est assez bonne, mais aucun de nos hommes ne voulut y toucher, et il fallut renoncer à ce sport agréable, pour ne pas gaspiller inutilement nos munitions. Les canards, fort nombreux, nous procurèrent heureusement des compensations.

Le second jour, nous trouvons la tribu des Keuté déjà installée dans ses campemens d’été. Généralement, les tentes sont disposées en cercle. La tente des Nomades, noire, faite d’un tissu en poils de yaks, n’est point hexagonale, comme on l’a signalée ailleurs, mais irrégulièrement polygonale ; son procédé de support, très ingénieux, consiste en perches plantées hors de la tente, auxquelles des cordes la relient de telle sorte que tout l’espace intérieur est libre. Les ballots qui constituent la fortune du maître, répartis circulairement, forment comme un bourrelet qui empêche le vent de s’engouffrer par-dessous ; la fumée s’échappe par une ouverture centrale, qu’un pan d’étoffe peut aveugler au besoin. Cette tente, très vaste, serait parfaite si l’étoffe n’en était d’une trame si grossière que le soleil et le froid y pénètrent à leur aise.

Notre plan est d’aller sur cette rive, où nous sommes à l’abri de Samsa, jusqu’au confluent du grand Fleuve Jaune, qui n’est plus loin — voilà plusieurs jours que nous marchons parallèlement à lui, à 10 ou 15 kilomètres au plus ; — là un gué nous permettra de franchir le petit fleuve, et de reprendre notre itinéraire prévu, après avoir dépassé la zone dangereuse.

Mais, en tournant la tête, l’un de nous aperçoit sur nos derrières une colonne de feu. Quelque fumeur imprudent a-t-il jeté une allumette enflammée sur l’herbe séchée par ce malencontreux soleil ? En un instant les flammes s’étendent et gagnent toute la prairie. Bien que le vent les chasse du côté opposé, le danger est grave : même si les tentes et les troupeaux sont épargnés, et nous l’espérons d’après la marche de l’incendie, une étendue considérable de pâturages n’en aura pas moins été dévorée ; c’est un désastre pour les pasteurs, et ils voudront se venger de nous.

Boy-Boy, qui n’a pas envie de rester plus longtemps en notre compromettante compagnie, nous entraîne vers la rivière, nous la fait franchir de nouveau par un gué, et vite il nous tire