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ces monts aux neiges éclatantes, ce fleuve immense, rien n’a changé depuis le commencement du monde, rien ne porte la marque de l’homme : la nature ignore encore qu’elle puisse avoir un maître ; et ce peuple en marche, à peine couvert de dépouilles d’animaux, mais armé de glaives et d’épieux, avec ses yaks puissans et informes comme les espèces disparues, c’est une horde préhistorique. Ô désert ! ta majesté ne réside point dans l’immensité de l’espace : souvent tes horizons sont courts et médiocres tes paysages ; mais ton infini est dans la durée. Sur toi les siècles passent sans marquer leur empreinte. Tu es toujours jeune, désert, et par toi l’homme aussi reste jeune, tel qu’aux premiers jours. Nous te devons les derniers Barbares, pareils sans doute à ce que furent nos pères ; grâce à toi, nous pénétrons plus profondément en nous-mêmes et, sous les acquisitions de la civilisation, croyons sentir tout au fond remuer l’âme ancestrale.

Mais déjà la vision commence à s’effacer : la masse des yaks sombres, les guerriers aux longues lances, tout cela s’écoule, s’allonge, s’effile : l’immensité l’absorbe. Encore quelques meuglemens lointains, quelques éclairs de lances au sommet d’une colline : le désert a repris son visage éternel…


Commandant d’Ollone.