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nos yeux, domine de cent coudées l’étroit politicien. Mais il affectait d’être avant tout scandalisé des « mœurs » de son adversaire : un « scélérat, » dira Couthon, qui pratiquait un « système d’immoralité, d’athéisme et de corruption, » et particulièrement avait affirmé — abominable chose, — qu’après la mort, l’homme rentrait dans « le néant. »

En fait Danton paraît bien avoir été athée, sans d’ailleurs avoir jamais voulu ériger en doctrine un sentiment tout personnel. Libre penseur, il n’était pas fanatique. Les prêtres ne l’occupaient pas : il en avait laissé massacrer une centaine aux Carmes sans remords, mais quand, en pleine Terreur, sa fiancée (bonne catholique), avait entendu faire bénir leur union par un « réfractaire, » il y avait consenti. Il n’était point pour une Eglise d’Etat, pas plus la constitutionnelle que la catholique, et pas plus le culte de la Raison que celui de l’Être Suprême. Il pensait que chacun devait vivre à sa guise et, Robespierre étant partisan de l’école obligatoire (pour ne citer qu’un trait), Danton la voulait libre. Mais cette facilité de doctrine même, Robespierre la tenait pour immorale. En toute sincérité, il tenait pour un médiocre républicain ce Danton, dix fois plus « libre penseur » que lui.

D’autre part, depuis quelques mois, en cet hiver de l’an II, — ce terrible Danton encourait à d’autres titres l’excommunication majeure. Ne voulait-il point qu’on mît fin à la Terreur, lui l’homme qui avait presque assumé la responsabilité des massacres de Septembre ? Ce dessein était connu. Au scandale des purs, Danton prônait « l’indulgence. » Lorsque, après la condamnation des Girondins, Camille Desmoulins était venu, en pleurs, se jeter dans ses bras, criant : « C’est moi qui les tue ! » Danton avait pleuré avec lui, et, un soir, passant sur le Pont-Neuf, il avait, dans une sorte d’hallucination, montré à Camille la Seine qu’éclairait le soleil couchant : « Regarde : la Seine coule du sang. Ah ! c’est trop de sang versé. Allons, reprends ta plume et demande qu’on soit clément. » Desmoulins l’avait entendu. Lui aussi avait autrefois allumé les incendies ; mais, depuis des mois, il restait consterné du désastre : « Ce pauvre Camille, » avait écrit de lui le puissant Mirabeau. Il restait « ce pauvre Camille, » enfant terrible, journaliste d’élan, ne calculant rien, âpre folliculaire en 1789, dont un charmant mariage avait adouci l’âme ulcérée, en le dotant d’ailleurs de