Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/913

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être l’Afrique que l’Europe peuplera et éveillera de la torpeur sociale et économique ; mais s’il en est des pays comme des hommes et s’il y a des « coming-countries » comme il y a des « coming men, » l’Amazonie est un de ces pays d’avenir et même d’avenir immédiat.

Grâce à l’obligeance du baron de Rio Branco et de S. Exc. M. Bettencourt, qui avaient mis un aviso à notre disposition, nous avons pu visiter ce pays peu fréquenté des touristes et remonter un certain nombre de rivières ; ainsi, en même temps que nous poursuivions diverses recherches, nous avons pu dans son ensemble juger cette région.

En ce moment, il est très instructif de visiter le nord du Brésil. Il semble en effet qu’on chevauche la « Time machine » de Wells, car, à quelques kilomètres de distance, en certains points, on voit les trois étapes successives : l’Amazonie telle qu’elle a été, pays de forêts vierges, telle qu’elle est à l’heure actuelle et telle qu’elle sera.

La Forêt Vierge ! il est inutile de la décrire. Bien des descriptions en ont été données, la plupart fantaisistes d’ailleurs et échappées à l’imagination d’argonautes en chambre ; les aspects en sont multiples. Parfois on ne sait si la forêt est marécage ou si le marécage est forêt ; ailleurs, c’est un fouillis d’arbres énormes, ramifiés à la base, ou couverts d’épines longues, minces, souvent toxiques ou présentant des racines aériennes ; quelques géans, déjà à moitié pourris, sont tombés à terre ; les lianes unissent le tout ; lianes qui, montant en torsades de 30 ou 35 mètres, unissent le sol aux branches les plus élevées, ou qui, tendues horizontalement d’un arbre à l’autre, forment un véritable entre-mailles qui enchevêtre le tout. Comme plancher, c’est l’humus chaud, gras, noir, fertile, le plus souvent recouvert de broussailles ; comme plafond, le feuillage des arbres.

Peut-on marcher à travers la forêt ? Oui ; rarement on est obligé de se frayer un sentier, le grand couteau national à la main. Quand, au lieu de rester sur les bords de la rivière, on se jette en plein bois, on est étonné de se sentir au milieu de tous ces arbres plus seul qu’en pleine mer ou que dans les sables du Sahara. On n’est jamais plus isolé qu’au milieu d’une foule hostile et la nature amazonienne qui submerge le voyageur curieux d’en surprendre les secrets a, comme tout ce qui est tropical, quelque chose d’hostile. Un jour, dans cette forêt,