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y vendre : châtaignes, caoutchouc, cacao, fruits. Tout s’y achète, depuis le fameux grand couteau jusqu’au poisson salé et au vermouth. A la tête de chacune se trouve un blanc ou un demi-blanc.

La propriété amazonienne, c’est donc une partie de la forêt essaimée de travailleurs. Ces travailleurs ne sont cependant pas aussi isolés qu’ils le paraissent, car à 30 ou 35 kilomètres se trouve un véritable centre où ils peuvent tout vendre, où ils trouvent tout à acheter. Chacune de ces factoreries est reliée à un centre commun plus important, réuni lui-même à Para ou à Manaos par une ligne régulière de steamers. C’est dans ces diverses exploitations, véritables foyers de civilisation, que se trouve la vraie vie amazonienne[1].

Donc jadis forêts absolument vierges, à l’heure actuelle forêts qui commencent à être exploitées et à produire ; telle est l’histoire économique de la vallée amazonienne. Mais déjà maintenant recueillir simplement les produits de la nature ne suffit plus à l’activité nationale. On commence, et c’est là une des idées fondamentales de la politique de M. S. Nery, un des plus intelligens gouverneurs des Amazones, à ne plus récolter simplement les richesses de la forêt, mais à exploiter le sol.

Autour de Manaos nous avons vu de véritables fermes hollandaises ou normandes (ferme de l’Amatahary, colonie de Pedro Borghès qui compte plus de 2000 personnes, etc.), entourées de prairies qui fournissent aux bestiaux un pâturage presque très bon. Toutes les races de bestiaux ne peuvent, il est vrai, y prospérer. Mais à l’heure actuelle, par le croisement du zébu de l’Inde, des vaches sans cornes de l’Amérique du Nord et de quelques races européennes, surtout des races flamandes, M. Néry est arrivé à acclimater les bovidés ; il est probable que dans quelques années une race amazonienne sera créée.

Le sol amazonien commence donc à être cultivé, mais cette culture finira par entraîner les conséquences graves du déboisement ; le déboisement amènera la sécheresse et les inondations,

  1. Pendant notre séjour dans diverses fermes amazoniennes nous avons été frappés de l’identité de mœurs des ouvriers agricoles brésiliens et de nos paysans français. C’est la même grande table qui réunit maîtres et serviteurs. Ce sont presque les mêmes repas dont la soupe constitue l’élément essentiel. Ce sont, parmi les travailleurs, les mêmes conversations roulant sur les mêmes détails agrestes. Certes dans ces fermes du Rio Purus ou du Rio Negro, nos laboureurs beaucerons ou normands ne se seraient guère trouvés plus dépaysés qu’un bourgeois à la table d’un paysan français.