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tâche, elle les laisse passer, et s’enfuit. La vieille alors, indignée et méprisante, ramasse le fusil et pareille à l’une de ces Erinnyes, à l’une de ces « chiennes » que nous montre Eschyle, elle suit pas à pas la trace maudite. Bientôt retentit un coup de feu… Ce n’est pas Tebaldo qu’il a frappé à mort, c’est Vanina.

Mais la cause, la cause d’une aussi déplorable erreur de tir ? Les mauvais yeux de la terrible mère-grand. Ils avaient, parait-il, été mentionnés antérieurement. Que voulez-vous ! Depuis que chanteurs et chanteuses parlent plutôt qu’ils ne chantent, on entend moins que jamais ce qu’ils disent. Alors nous ne savions pas… Et c’est pourquoi tout d’abord nous ne voyons pas très clair, nous non plus, dans ce dénouement imprévu. Il nous fait penser, révérence gardée, au postulat de l’Œil crevé : « Quand je tire, je n’ai pas besoin de viser, » disait — à peu près — un archer. Et la princesse, placée derrière lui, recevait la flèche dans l’œil. Sans compter que, même expliquée, l’erreur ne fait pas compte. La petite-fille, au lieu du meurtrier du petit-fils ! Il y a maldonne. Tout est à recommencer. Espérons que Tebaldo, son congé fini, tombera dans quelque bataille. Par là, dans la mesure du possible, les choses seront enfin rétablies, ou réparées.

L’adage du fabuliste : « Tout établissement vient tard et dure peu, » n’est pas vrai de l’auteur de l’Ancêtre (nous parlons maintenant du musicien) et de son œuvre en général. Etablie tout de suite, il y a déjà longtemps, cette œuvre dure encore aujourd’hui. C’est qu’elle est fondée sur des bases solides, classiques, au sens du mot le plus simple et le plus fort. La musique de M. Saint-Saëns assurément s’est élevée plus haut, étendue plus loin naguère. Mais quelle assurance et quel aplomb, quelle tenue et quel style elle garde toujours ! Quelle sécurité d’abord, — oui, tout d’abord, — elle nous inspire ! Dès les premières mesures de l’Ancêtre, sans hésiter, sans tâtonner, elle commence. Ayant quelque chose à dire, elle le dit ; elle s’énonce, elle s’ordonne, elle s’organise aussitôt, et cette franchise, cette décision, cette promptitude, encore une fois tout cela n’appartient qu’aux maîtres, artistes ou écrivains, que nous appelons classiques. A cet égard-là, comme début et comme départ, comme période composée et construite, la première page de l’Ancêtre pourrait servir déjà d’exemple et de leçon. Thèmes et timbres, dessin et couleur, tout y est précis et vigoureux.

Mainte fois, écoutant l’orchestre de M. Saint-Saëns, il nous souvient de cette question ingénue qu’adressait naguère un des vétérans de la critique musicale à l’un des nouveaux, des plus nouveaux, qui