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s’en effara : « Pourriez-vous me dire en quel ton l’école moderne écrit pour le quatuor ? » En tous les tons, M. Saint-Saëns écrit avec la même complaisance et la même perfection pour ce groupe fondamental de l’orchestre où sa musique s’appuie. Le premier acte de l’Ancêtre commence par un épisode assez franciscain, homélie du Père Raphaël à ses abeilles. La musique en est bruissante et légère, ainsi qu’il convient, d’ailleurs beaucoup moins pareille qu’on ne l’a dit à celle du Waldweben de Siegfried. Mille atomes dansent et vibrent dans le rayon sonore, y forment un monde d’harmonies à tout instant renouvelé. Mais des notes plus stables et plus graves, notes de la voix, autres notes de l’orchestre, sont là pour assurer, soutenir cet univers changeant et mêler en nous, de la façon la plus heureuse, la sensation de la consistance à celle de la fluidité. Poésie de la forêt, poésie de la niche, et du miel, et des ailes ; mais, comme disait un jour Henri Heine et justement à propos d’un de nos vieux musiciens, poésie à la française, sans morbidezza, poésie jouissant d’une bonne santé.

De même le monologue de l’ermite aviculteur, Aristée monacal, peut bien n’avoir plus rien d’un « air » à la vieille mode. La phrase musicale s’y développe sans reprise ni retour. Elle y obéit pourtant aux principes, à l’ordre mystérieux de cette discipline éternelle, qui survit à l’ancienne loi. De la musique, il y a beaucoup de musique, dans le premier acte de l’Ancêtre : voire de la musique militaire, et de la meilleure. Saccadés, pointés et piqués autant que ceux de l’ermite étaient unis et comme étalés, les discours du petit soldat ont de la jeunesse, de la désinvolture et de la crânerie. La Marseillaise y est insérée en passant, et comme au vol, de vive et spirituelle façon. M. Saint-Saëns n’est jamais à court de rien, même d’esprit. Il ne craint pas le badinage et la malice : témoin le duetto (souvenirs d’enfance et promesses d’amour) entre le jeune guerrier et sa payse. Nous avons ici l’une des pages, assez nombreuses dans l’œuvre de l’artiste, où, le grand musicien, avec une sorte de coquetterie ironique, semble se plaire à côtoyer la banalité, celle au moins de la mélodie. Mais il y échappe aussitôt, soit par un ingénieux détour de la mélodie elle-même, soit, comme ici, par l’agrément d’un rythme, d’une harmonie, d’un timbre qui vient, à l’improviste, la relever.

Musique de théâtre, la musique de ce premier acte ne laisse pas d’avoir aussi l’intérêt en quelque sorte spécifique de la musique pure. Intérêt supérieur, auquel il ne nous déplaît pas de voir sacrifier de temps en temps l’action elle-même. Ces retards heureux nous valent