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monde. Mais en plus de la présentation de ces deux personnages, dont les caractères nous sont d’abord indiqués très sommairement, nous avons l’agréable surprise d’assister à une série de scènes où le vieil acteur, Harro Hassenreuter, déploie devant nous toute la diversité de son répertoire de savoureuses images et de citations imprévues. Nous le voyons, par exemple, se quereller avec un de ses collègues qui ne lui a point témoigné les égards qu’il mérite. Puis c’est une jeune actrice qui, pour obtenir de lui un engagement, l’écoute avec un mélange amusant de moquerie et de vénération ; et l’éminent « père noble, » qui se plaît fort à recevoir ses hommages, ne se fait pas faute de rudoyer le professeur de sa fille, un fils de pasteur appelé Erich Spitta, lorsque celui-ci l’interrompt dans son tête-à-tête pour lui demander des leçons de déclamation.

Ce Harro Hassenreuter représente d’ailleurs, presque à lui seul, tout l’élément « comique » de la « tragi-comédie ; » mais je croirais volontiers que tout le talent employé par M. Hauptmann à développer sous nos yeux l’intrigue de sa pièce aura moins contribué au très vif succès de celle-ci que l’invention de ce personnage tout épisodique. Chacune des paroles du vieil acteur est pénétrée d’un mélange délicieux d’emphase bouffonne et de profonde sagesse. Le « cabotin, » chez lui, a beau être poussé au plus haut degré : sans cesse nous découvrons sous lui un philosophe profondément versé dans la connaissance des hommes et des choses, et amené par cette connaissance même à tempérer son mépris d’une indulgente pitié. C’est lui qui, à la façon du chœur antique, se charge de commenter pour nous les péripéties successives de la tragédie où nous assistons ; et parfois aussi M. Hauptmann se laisse aller au plaisir de nous admettre plus directement dans l’intimité de son héros en nous le montrant occupé à régler les menus incidens de son propre ménage, ou encore à instruire ses jeunes élèves des nobles secrets de son art. Le voici, par exemple, — dans l’une des scènes les plus curieuses des Rats, et la seule où l’auteur semble avoir un peu tâché à justifier le titre de son œuvre, — gravement assis au fond de son immense « atelier, » en compagnie de trois de ses élèves, et leur faisant étudier une tragédie de Schiller :


LE DOCTEUR KEGEL ET KAFERSTEIN (debout, déclamant avec une violence pathétique). — « Je te salue avec respect, — salle somptueuse, — ô toi, de mes maîtres — le princier berceau ! — Dans son fourreau… »

HASSENREUTER (furieux et vociférant). — Halte ! Un point ! Halte ! Vous n’êtes pourtant pas chargés de tourner un orgue de Barbarie ! Le chœur de