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simples et touchantes figures de ces pauvres gens. La véritable mère reparaît, sollicite la permission de revoir son enfant ; et Mme John, dès qu’elle l’aperçoit, comprend que jamais cette créature ne se résignera à la laisser en paix. Il y a là, entre les deux rivales, une scène étrangement violente et douloureuse, mais traitée avec un sens admirable de réalité dramatique. Et puis nous assistons, d’acte en acte, aux efforts désespérés de la femme du maçon pour éviter une catastrophe que nous sentons déjà toute prête à s’abattre sur elle. Elle pourrait bien, il est vrai, tout avouer à son mari, qui sûrement lui pardonnerait son mensonge, avec l’humeur indulgente et placide que nous laissent deviner toutes ses paroles ; mais toujours elle demeure comme hypnotisée sous la crainte de son abandon, ou, plus simplement encore, toujours son étroite cervelle s’obstine, sans l’ombre d’un motif réfléchi-dans le plan de conduite qu’elle a d’abord adopté. Si bien que, ne voyant plus d’autre moyen de se délivrer des instances de la mère, cette femme d’une probité jusqu’alors irréprochable en arrive à solliciter l’assistance de son frère, qui est précisément l’auteur du vol signalé par le vieil acteur au portier de la maison. Et le frère n’obtient le silence de Pauline qu’en l’assassinant, et la malheureuse Mme John, au premier reproche qu’elle croit découvrir dans le regard de son mari, renonce à lutter plus longtemps contre la destinée. Mais combien ce rapide et froid résumé est peu fait pour donner au lecteur une juste idée de la signification essentielle d’une pièce dont tout l’intérêt consiste à animer de vie poétique jusqu’aux moindres nuances des idées et des sentimens de chacune des figures, transportant celles-ci du domaine du mélodrame populaire dans celui de la tragédie la plus « gœthéenne, » de manière à concilier en un même ensemble artistique les deux idéals opposés du professeur. Hassenreuter et de son étonnant élève, l’ex-théologien Erich Spitta !


T. DE WYZEWA.