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français, de toute inclination française, la province aura atteint ce point de maturité où on pourra l’admettre dans l’Empire avec des droits égaux à ceux des autres États. Mais qui ne voit le cercle vicieux ? Le particularisme alsacien-lorrain devra renoncer à lui-même pour obtenir, plus tard et par grâce, la satisfaction qu’il demande dès aujourd’hui au nom de sa dignité. Toute la lutte entre l’Alsace-Lorraine et l’Empire se déroule entre ces deux termes opposés : l’Alsace-Lorraine veut le droit commun, on le lui refuse ; elle veut être un État autonome au même titre que les autres, on la relègue dans une situation subalterne. Lutte tragique qui n’est pas près de finir et dont le dénouement nous échappe.

Les projets du gouvernement impérial sont au nombre de deux : le premier contient une constitution pour l’Alsace-Lorraine, le second une loi électorale. On sent, dans l’un et dans l’autre, le geste plein de réticences d’un pouvoir qui, à la fois, donne et reprend, c’est-à-dire qui a peur d’avoir trop donné dans un premier mouvement et en fait un second pour en limiter les effets. Jusqu’à présent, l’Alsace-Lorraine n’a pas eu d’organe législatif : les lois qui la régissent sont votées par le Reichstag. La constitution nouvelle lui donne l’organe qui lui manque ; elle aura désormais deux Chambres qui feront des lois. Mais pourquoi deux ? Les Alsaciens-Lorrains préféreraient n’en avoir qu’une, non pas sans doute qu’ils méconnaissent en théorie l’utilité d’en avoir deux, mais parce qu’ils savent d’avance que, si on leur donne le droit d’en élire une, et même une partie de l’autre, la majorité de cette seconde Chambre sera nommée par l’Empereur et disposera, en fait, d’un veto tout-puissant. En quoi ils ne se trompent pas. L’omnipotence impériale s’exercera par l’intermédiaire de cette Chambre haute, qui restera d’autant plus à sa discrétion que ses membres seront nommés pour un nombre d’années limité : s’ils cessent de plaire, autant dire qu’ils seront révoqués. De même du statthalter. Les Alsaciens-Lorrains désireraient qu’il fût nommé à vie, ce qui assurerait son indépendance : c’est précisément de cette indépendance qu’on ne veut pas. Enfin les Alsaciens-Lorrains demandent à être représentés au Conseil fédéral et à y disposer de trois voix ; on veut bien les leur accorder, mais seulement dans les questions économiques qui intéressent leur province : exception qui confirme la règle générale d’exclusion et en fait sentir toute la dureté. Quant à la loi électorale, le principe en est le suffrage universel. Tout citoyen âgé de vingt-cinq ans sera électeur, après un séjour de trois ans dans la commune, ce qui est long. Au premier abord, cette