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tactique électorale : d’une part et de l’autre, on avoue, avec plus ou moins d’embarras ou de franchise, que la permanence de la petite propriété est en France le principal obstacle au progrès du socialisme agraire.

Le problème ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes pour les socialistes italiens. L’Italie est encore aujourd’hui un pays de grands domaines. Il convient pourtant ici de distinguer : les fameux latifundia, qui perdirent jadis toute l’Italie, n’en compromettent plus guère désormais que les provinces centrales et méridionales. Dans les régions du Nord, la terre, à mesure qu’elle est mieux cultivée, tend à se diviser davantage. En Toscane, dans l’Emilie, en Romagne, la petite propriété devient plus fréquente, ou, si l’on veut, moins exceptionnelle qu’autrefois ; mais ce qu’on nomme chez nous la propriété paysanne n’existe guère en Italie. La population des campagnes peut se diviser en deux classes : les colons ou métayers, et les ouvriers journaliers. C’est aux journaliers que la propagande socialiste s’est adressée d’abord ; et, dans certaines régions, elle a fait parmi eux des progrès rapides. Elle s’est tournée ensuite vers les métayers, et c’est alors que les véritables difficultés sont apparues. La communauté des intérêts faisait du métayer l’allié naturel du propriétaire ; la tradition, la différence des mœurs, et un certain amour-propre le séparaient au contraire de l’ouvrier journalier. On fit comprendre aux métayers qu’il ne dépendrait que d’eux d’être traités en adversaires ou en amis, suivant qu’ils feraient cause commune avec les propriétaires, ou avec les ouvriers. Et la tactique socialiste consista, tantôt à créer des liens de solidarité entre les deux classes de travailleurs agricoles, tantôt à susciter entre elles des rivalités et des discordes. La fréquente résistance des métayers fit qu’on eut plus souvent recours au second moyen qu’au premier. Les promoteurs et les chefs de l’organisation socialiste ne dissimulent plus aujourd’hui l’intention de leur campagne : il s’agit pour eux de transformer progressivement, puis d’abolir l’institution du métayage. On s’efforce d’intéresser les métayers eux-mêmes à la réforme, de s’assurer leur concours, ou leur neutralité ; comme l’entreprise, bien qu’elle ne soit pas théoriquement dirigée contre eux, semble cependant les atteindre dans leurs droits et dans leurs intérêts, il arrive que les métayers refusent de s’y associer, ou même qu’ils s’y opposent ;