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ce que j’ai appelé depuis l’apologétique expérimentale. Cette apologétique consiste à établir, suivant une expression chère aux mathématiciens, qu’étant donné une série d’observations sur la vie humaine, tout dans ces observations s’est passé comme si le christianisme était la vérité. C’est le témoignage que j’apporte pour les observations que j’ai pu faire sur la sensibilité de mon temps et qui sont consignées dans ces romans parfois hardis, quelquefois maladifs, toujours sincères…


« La religion, ajoutait-il, n’est pas d’un côté, et la vie humaine de l’autre, » et, pour démontrer la vérité de l’une, il estimait que « l’observation quotidienne et réaliste » de l’autre était loin d’être inefficace. Madame Bovary ou Pierre et Jean, le Rouge et le Noir ou Adolphe étaient, selon lui, des livres d’apologétique involontaire, et « cet accord de tous les analystes lucides des passions » « une des formes de cette harmonie de la science et de la tradition qui éclate partout, à l’heure présente. » Et il concluait :


Ma seule ambition serait que l’on voulût bien reconnaître, en les prenant dans leur ensemble, aux études de sensibilité contemporaine dont voici la première série, une petite place dans ce courant d’idées réparatrices qui se dessine de toutes parts en France et qui n’exclut aucun ouvrier, si humble soit-il, et si étranger ait-il pu sembler d’abord, par le genre même de ses travaux, à une si grave entreprise.


C’étaient là de fortes et nobles paroles, et ce ne sera pas en affaiblir la portée que de discuter un peu plus tard quelques articles de ce credo. Mais si l’on peut admettre que ces paroles étaient virtuellement contenues dans les œuvres antérieures de M. Bourget, il faut bien reconnaître qu’elles étaient enchâssées parmi beaucoup d’autres qui ne rendaient pas tout à fait le même son. Ce moraliste s’attardait, s’amusait peut-être, aux détours du chemin ; cet apologiste renouvelait bien souvent la même « expérience ; » il prenait évidemment quelque plaisir à en prolonger la durée ; ce théologien posait bien çà et là quelques prémisses ; il oubliait ou il négligeait bien souvent d’en tirer les conclusions. Pourquoi, un jour venu, dans le bref raccourci d’une Préface, s’avisa-t-il de ramasser et de démasquer tout le sérieux foncier de sa pensée ? Pourquoi ce jour-là plutôt qu’un autre ? A la suite de quels événemens et dans quelles circonstances exactes cette décision fut-elle prise, et ce nonchalant apologiste du dehors se transforma-t-il en un apologiste conscient et résolu ? Nous le saurons peut-être un jour. Nous