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l’intelligence, l’amour et la volonté. J’admets encore que ce principe d’intelligence, d’amour et de volonté, caché dans l’inconnaissable, c’est ce que le langage des simples appelle Dieu. J’admets encore que ce Dieu, ainsi conçu, doit s’être manifesté dans l’histoire humaine. Comme cette histoire n’est pas une attente, qu’elle est actuelle, qu’elle est présente, j’admets que cette action de l’inconnaissable y est mêlée, actuellement. J’admets que, de tous les faits qui tombent sous l’observation, le christianisme est celui qui remplit le plus exactement les conditions que notre raisonnement nous montre a priori, comme ayant dû être celles d’une action divine. Je vais plus loin. Je reconnais que, des formes diverses du christianisme, la plus complète est celle qui remonte par la tradition au fondateur et à ses apôtres, c’est-à-dire le catholicisme. J’admets tout cela, mais comme une construction intellectuelle qui me reste totalement extérieure, et dont je ne me sens pas faire partie. C’est une hypothèse plus ingénieuse, plus probable, si vous voulez, que beaucoup d’autres, mais cette probabilité est pour moi, — comment m’exprimer ? — une probabilité morte. Elle m’est étrangère, je vous le répète. Elle ne touche pas à ce point dernier de la personne où s’élabore la conviction[1]


Quelle étonnante et lumineuse page d’ « apologétique expérimentale ! » De même que, du propre aveu de M. Bourget, il y avait jadis, dans son Robert Greslou, quelques traits d’autobiographie psychologique, de même, je crois bien qu’à divers égards, son Jean Monneron lui ressemble « comme un frère. » Ce qu’est le Disciple dans la première partie de son œuvre, l’Étape l’est dans la seconde : les deux livres se correspondent, et se font exactement pendant l’un à l’autre.

Un divorce fait suite à l’Etape, manifeste les mêmes tendances, et, sous une forme peut-être plus simplifiée, les mêmes qualités d’art et de pensée. M. Bourget y a créé un type très nouveau, très actuel et très vivant, celui de Berthe Planat, l’étudiante « féministe, » la théoricienne de l’union libre, curieux mélange de droiture morale et d’anarchisme intellectuel, touchante et sympathique jusque dans ses erreurs et ses faiblesses. Le livre soulève une question souvent discutée, toujours actuelle, et la tranche ou la résout comme on pouvait s’y attendre de la part d’un héritier de Bonald. Je ne sais à vrai dire si la question y est posée dans toute sa force et dans toute sa simplicité, et si elle n’aurait pas gagné à être dégagée de toute considération accessoire : j’appelle ainsi les considérations

  1. On fera bien de rapprocher ces lignes d’une lettre de M. Bourget (13 mai 1902) à Charles Ritter dont nous avons cité les principaux fragmens dans la Revue du 15 novembre 1910.