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millions de morts. Le grain était accaparé par quelques gildes, le peuple les accusait de tous ses maux et en réclamait la suppression, de nombreuses révoltes troublèrent la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe, le gouvernement abolit les gildes en 1841, puis, le désarroi qui suivit cette brusque mesure ayant fait renchérir les vivres, il dut les rétablir en 1851.

Comme l’ensemble de la nation, la caste militaire s’était beaucoup accrue au XVIIe siècle ; au XVIIIe, les princes, toujours endettés, vendaient le titre de samuraï à quiconque désirait l’acheter, ils le donnaient à ceux qui se conciliaient leurs bonnes grâces ou méritaient par leurs talens d’entrer dans l’administration. A l’époque de la Révolution, la caste militaire comprenait 1 200 000 membres ; ils étaient répartis en classes nettement divisées : les samuraïs des hautes classes exerçaient les emplois importans du gouvernement dans les Etats du shogun ou dans les clans ; les samuraïs des classes moyennes étaient fonctionnaires ou officiers ; les samuraïs des plus basses classes, soldats, maîtres d’armes, piqueurs, fauconniers ou domestiques des seigneurs et des samuraïs riches. Mais toutes les fonctions, toutes les charges, presque tous les emplois de soldat et de domestique étaient héréditaires ; par suite, les titulaires de ces postes et de ces emplois n’avaient souvent pas l’âge ou la capacité de les exercer ; on leur donnait comme remplaçons d’autres samuraïs ou même des gens du peuple que dans ce dessein on nommait samuraïs ; ces remplaçans n’avaient ni le rang, ni le traitement laissés aux titulaires, leur situation était médiocre, leur indemnité dérisoire ; c’étaient donc des hommes aigris et désireux de changer l’ordre social. Or, si dans les Etats des Tokugawa beaucoup de fonctions continuèrent à être gérées par les titulaires, dans un grand nombre de clans ce devint la coutume que, capables ou incapables, ils ne le fissent pas. Les remplaçans eurent donc bientôt la majorité dans les conseils qui régissaient ces clans à la place des princes condamnés à l’inactivité, et c’est ainsi qu’au milieu du XIXe siècle ces conseils se transformèrent en clubs révolutionnaires. D’autre part, il n’y avait plus assez de places ni d’emplois pour les samuraïs devenus trop nombreux ; or la loi leur défendait d’exercer aucun métier ; tombés dans la misère, les samuraïs sans place désertaient leurs clans, se couvraient la tête d’un grand chapeau qui leur cachait le visage et se faisaient ronins, hommes d’armes