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l’Etat dut progressivement céder à leurs demandes. La Constitution a reconnu le droit d’association ; le Code civil a organisé les sociétés reconnues d’utilité publique ; le Code de commerce, les différentes formes de sociétés commerciales. D’autre part, les anciennes gildes s’étant reconstituées d’elles-mêmes, l’Etat s’est décidé à les reconnaître ; bien plus, dans beaucoup de cas, il a contraint ceux qui exercent une profession à faire partie des gildes de cette profession. Mais les gildes du nouveau droit diffèrent profondément des gildes de l’ancien droit, puisque ce sont des groupemens d’individus choisissant librement leur profession et non plus des groupemens de familles exerçant leur profession obligatoirement. D’ailleurs le droit d’association est resté incomplet ; ainsi la loi interdit encore toutes les associations de salariés. Et c’est ainsi que lentement, tantôt en s’inspirant du passé, tantôt en imitant l’étranger, tantôt encore en s’efforçant de préparer l’avenir inconnu par des lois fondées soit sur des aspirations, soit sur des principes rationnels, le Japon cherche, comme toutes les nations civilisées, à sortir de la demi-anarchie qu’ont produite le développement de l’individualisme et la brusque disparition des anciennes formations sociales.


Cet état de demi-anarchie que nous trouvons dans la société, nous le trouvons aussi dans la famille. Sans doute la famille est restée plus forte en Asie qu’en Europe, mais comme en Europe la famille s’est transformée lentement, qu’en Asie elle se transforme brusquement, le trouble y est peut-être plus grand encore. Dans le Vieux Japon, l’Etat ne connaissait que des familles et pas d’individus. L’œuvre accomplie par la Révolution impliquait que la famille fût aussi sacrifiée ; aussi bien, tandis que la philosophie du XVIIe siècle, encore toute confucianiste, avait défendu qu’aucune restriction fût apportée à la puissance paternelle, la philosophie du XVIIIe avait-elle commencé à protester contre les abus qu’on faisait de ce principe : l’autorité du souverain avait été reconnue supérieure à celle du père, en 1721, on avait aboli pour le peuple la loi qui condamnait à mort la femme et les enfans d’un homme coupable d’un crime grave et les romans n’avaient cessé d’apitoyer le public sur le cas des jeunes filles que leurs parens vendaient à des maisons de débauche. C’est pourquoi dès 1871, — et cela en dehors de toute