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Elles glissaient comme des ombres,
Et les passans, d’horreur saisis,
Voyaient par les portières sombres
Passer des canons de fusils.

Ceux de la bataille dernière
Revenaient là, tristes et lents,
Et l’on souffrait à chaque ornière
Qui secouait leurs fronts ballans.

Ils ont fait à peine deux lieues,
Ces ironiques omnibus
Pleins de blessés aux vestes bleues
Qu’ensanglanta l’éclat d’obus.

Ce convoi de coucous qui passe
Semble nous faire réfléchir
A l’étroitesse de l’espace
Qui nous reste encor pour mourir ;

Et, malgré mes pleurs de souffrance,
J’ai pu lire sur leurs panneaux
Les noms des frontières de France :
Courbevoie, Asnières, Puteaux.


AU THÉÂTRE[1]


On jouait un opéra-bouffe.
C’est le nom qu’on donne aujourd’hui
Aux farces impures dont pouffe
Notre siècle si lier de lui.

  1. Les deux poèmes suivans ont été écrits par François Coppée à un moment difficile de sa carrière littéraire, dans les années qui suivirent la guerre, alors qu’il cherchait à conserver la faveur du public conquis d’emblée avec le Passant, mais tout prêt à accabler ses nouvelles productions du-souvenir de ce premier succès… Et, de fait, ses plus récentes pièces de théâtre : Deux Douleurs, Fais ce que Dois, l’Abandonnée, n’avaient guère réussi ; et son dernier recueil de vers, les Humbles, venait d’être fort critiqué. C’est dans des heures de tristesse et de découragement qu’ont été écrits les deux poèmes inédits que je publie ici ; — véritables confessions intimes.

    Dans le premier, François Coppée fait entendre son franc parler de bourgeois parisien ; il se montre tel qu’il est, avec son vieux fonds de moralité et de vertu, son horreur de toutes les hypocrisies, de toutes les tyrannies sociales, sa pitié et sa tendresse pour les petits et les opprimés, son aversion pour les riches égoïstes et jouisseurs. Dans le second, il nous dit lui-même, — avec quelle simplicité et quelle modestie, — les sources de son inspiration : son œuvre est avant tout une œuvre de sympathie, d’indulgence, de pitié universelle. S’il a cessé, pendant un temps plus ou moins long, d’être un catholique pratiquant, il n’a jamais cessé d’être pénétré, inconsciemment ou non, de l’esprit de l’Évangile : il a toujours senti vivement et proclamé en chrétien la beauté morale qui rayonne des cœurs simples, des esprits modestes, des vies résignées. Oui, cette préface inédite des Humbles, — précieuse profession de foi écrite en mars 1872, — suffirait à le prouver : même aux heures troubles, aux minutes de scepticisme et de doute, François Coppée garda toujours au fond du cœur, comme un viatique, sa modestie intime, son amour du prochain, auxquels il ne manquait que la consécration catholique pour faire de lui l’homme parfait selon l’Évangile, pratiquant les deux grandes vertus du Christ : l’humilité et la charité.

    J. M.