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tempérament d’amoureux. L’idée qu’après sa mort Irène sera à un autre et à un autre qui est déjà son amant, lui apparaît brusquement et opère en lui une révolution. Du coup, il renonce à ses projets de suicide. Il resserre le pistolet dans sa boîte, bien sagement. Le joueur malheureux, le financier à bout d’expédiens n’existe plus : il ne reste que le mari jaloux. Ah ! que cela est extraordinaire, et imprévu, et je dirais invraisemblable, si nous n’étions ici en pleine fantaisie et dans ce domaine de l’hypothèse où les opinions sont libres. L’auteur aurait pu se plaire à nous conter l’aventure d’un financier en détresse qui, n’étant plus retenu à la vie que par son attachement pour sa femme, découvre que celle-ci le trompe, et, de désespoir, se tue. Il a préféré que Bourgade ayant résolu de se tuer, change d’avis, en apprenant le surcroit de son infortune. L’une ou l’autre alternative est défendable ; la seconde, pourtant un peu moins que la première. Ce Bourgade s’en allait mourir ; la nouvelle qu’il est ce que vous savez et que Molière eût appelé comme vous savez, le rattache à la vie. Allons ! allons ! on ne nous ôtera pas de l’esprit que ses préparatifs de suicide étaient une frime et qu’il a sauté sur le premier prétexte.

Maintenant, nous allons assister à un joli déballage. Ces deux êtres se font horreur et ils ne se l’envoient pas dire. Dans le dialogue qu’ils échangent à travers les demi-ténèbres de cette nuit moins noire que leurs âmes, l’escroquerie et l’adultère se donnent la réplique. Oubliant sur l’heure l’infamie dont il est saturé, Bourgade se dresse en justicier. Irène n’a qu’un regret, celui de sa longue honnêteté. Quoi ! pour rester fidèle à ce voleur, elle s’est privée des joies d’une mauvaise conduite ! Dix-sept années de privations ! On demandait tout à l’heure ce que c’est que l’irréparable. Le voilà, l’irréparable : ce sont toutes ces jouissances perdues. Par ce cri du cœur, nous pouvons juger de ce que vaut le cœur de celle qui le pousse. Ainsi s’entre-croisent les invectives, et s’entre-choquent les paquets de sottises remplaçant les paquets de cailloux…

Tout du long de cet acte nous n’avons entendu que plaintes, reproches, gémissemens, injures, sanglots de colère et de rage, halètement de bêtes traquées. Nous avons notre compte. Quant à Bourgade, il lui reste à découvrir qui est le larron de son honneur. Vainement a-t-il, pareil aux maris croquemitaines du bon Dumas père, tordu les poignets d’Irène : Son nom, madame ! Il ne lui a pas arraché ce nom. Tout de suite, au début du troisième acte, James, par quelques paroles imprudentes, se dénonce lui-même. Que va-t-il se passer ? Bourgade va-t-il tirer sur James ou sur Irène ce coup de