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peine a été commuée. Comment la pensée ne viendrait-elle pas aux esprits que, par cette libération anticipée, on a voulu exercer une influence très pressante sur la Cour suprême et lui indiquer l’arrêt qu’on attend d’elle ? Comment ne pas sentir que, par cela même, l’arrêt perdra quelque chose de son autorité ? Comment ne pas prévoir que si cet arrêt n’est pas celui qu’il attend, le gouvernement se sera mis dans un grand embarras ? Mais les socialistes et les révolutionnaires ne s’arrêtent pas à des considérations de ce genre. Ils veulent faire sentir qu’ils sont nos maîtres et ils y réussissent merveilleusement. Lorsqu’ils ont décidé qu’un condamné est innocent, tout doit plier devant eux. Il n’y a d’autre justice que la leur : quand elle a prononcé, la cause est entendue, il ne reste plus qu’à donner docilement la forme légale à leur verdict. C’est pour faire cette démonstration à tous les yeux qu’ils ont voulu la liberté de Durand et il leur a suffi de la vouloir pour l’obtenir. Nous avons vu et nous avons signalé plus d’une défaillance de la part du gouvernement : celle-ci dépasse toutes les autres en importance. Durand n’avait pas commencé l’exécution de sa peine ; il était en prison préventive ; il devait y rester jusqu’à ce que la Cour de cassation eût prononcé ; il y serait encore si les forces politiques qui travaillaient en sa faveur ne s’étaient pas exercées sur le gouvernement avec cette insistance et au besoin cette vigueur auxquelles il ne sait pas résister.

Cette affaire ne se rapporte pas directement à la question des chemins de fer, mais elle jette des lumières nouvelles sur la faiblesse de notre gouvernement et par là elle s’y rattache indirectement, car tout se tient dans l’usine politique, et quand l’arbre de couche fonctionne mal, le reste s’en ressent. Pour revenir aux chemins de fer et pour conclure, ceux qui ont pris la responsabilité de faire voter le rachat de l’Ouest par l’État peuvent voir aujourd’hui la beauté de leur œuvre. On se rappelle les difficultés qu’ils ont rencontrées au Sénat. La haute assemblée avait le sentiment très net que le rachat était une faute, mais cette faute, elle l’a commise parce que le gouvernement a posé la question de confiance et qu’elle n’a pas osé le renverser. Il s’est renversé lui-même quelque temps après, et les choses n’en ont pas été plus mal, au contraire, — excepté bien entendu dans les chemins de fer. Là, le mal était définitif. L’incapacité du gouvernement en matière industrielle est apparue enfin à tous les yeux. Aujourd’hui l’épreuve est faite, mais elle a coûté cher.


La discussion du budget se poursuit, se prolonge à la Chambre