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ce sont là des étoiles terrestres et laïques qui peuvent suffire à guider un honnête homme à travers la vie. Soit, mais il aurait bien fait de s’en tenir là sans se croire obligé à parler de la religion ou des religions. C’est ainsi que, grand partisan de la tolérance, ce dont on ne peut que l’approuver, il a expliqué qu’il enseignait à ses élèves à ne pas se moquer des croyances des autres pays en leur montrant que celles du nôtre « n’étaient pas plus respectables. » Voilà sans doute une merveilleuse leçon à donner à des enfans ! M. Raffin-Dugens a parlé de Dieu, et comment ? « S’il est tout-puissant, a-t-il dit, il est responsable du choléra et de la peste, et s’il n’est pas tout-puissani, il n’est pas Dieu… » La Chambre a éprouvé quelque malaise en présence des affirmations et des dilemmes de l’orateur : M. Buisson l’a même interrompu un moment pour lui dire qu’il n’avait à parler de Dieu dans sa classe, ni pour prouver, ni pour nier son existence. « Il ne doit pas en être question, a-t-il soutenu : vous n’avez pas à faire de métaphysique, de philosophie, de politique. » A quoi M. Raffin-Dugens a répondu que M. Buisson avait sans doute un peu oublié le programme qui porte : « Les preuves de l’existence de Dieu, ses bienfaits. » — « Non, a répliqué M. Buisson ; le programme porte : Dieu, devoirs envers Dieu. Votre enseignement doit se borner au respect du mot Dieu et des idées qu’il éveille, sans le supprimer ni le définir ex professo et se restreindre à cette maxime, qu’il y a une manière au moins de l’honorer qui est l’obéissance à ses lois, telles que nous les révèlent la conscience et la raison. » Les intentions de M. Buisson sont sans doute fort bonnes, mais il nous est difficile de saisir la différence que présente le programme pour lui et pour M. Raffin-Dugens. Comment parler aux enfans des bienfaits de Dieu et de leurs devoirs envers lui sans leur parler de son existence ? M. Buisson veut peut-être dire qu’il faut supposer cette existence sans la démontrer ; mais si le maître a affaire à des élèves d’un esprit curieux et éveillé, il aura beaucoup de peine à s’enfermer et à les enfermer dans des limites aussi étroites. La vérité est que le problème qu’on pose à l’instituteur est insoluble ou du moins qu’il ne peut être résolu qu’avec infiniment de tact : mieux vaut ne pas parler du tout de Dieu que de le faire avec des réticences effarouchées qui en disent plus long à l’enfant que les demi-énonciations auxquelles elles succèdent. Oui, certes, il vaut mieux se taire sur Dieu et sur les croyances religieuses que d’en parler comme M. Raffin-Dugens. Il vaut mieux admettre que l’instruction religieuse est donnée ailleurs qu’à l’école communale, et se contenter d’y renvoyer les enfans. La