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paroisse et qu’il y avait prêché. Mais, tout de suite après le sermon, le lavoir d’un ami l’avait abrité. Il s’y blottissait et reprenait le lendemain, sous d’autres vêtemens, ses courses de commis voyageur. Son aventure faisait du bruit dans la région, il l’entendait raconter. « Si nous le pinçons, nous lui tordrons le cou, » disait à ses oreilles un policier dépité. Le voyageur en vins écoutait, se démenait, pérorait au casino de la petite ville voisine et causait du Culturkampf avec l’administrateur du district. L’entretien tombait tout de suite sur le prêtre introuvable. « Je vais finir dimanche, s’écriait le fonctionnaire, par mettre dans son village une compagnie de soldats. » Avec douceur, le voyageur approuvait, insinuait même qu’il serait bon de faire surveiller l’église dès cinq heures du matin. A quatre heures et demie, le dimanche suivant, les fidèles sortaient déjà du lieu saint, ayant entendu dès quatre heures la messe de l’insaisissable curé qui, la veille sur la Moselle, pour échapper à un gendarme de connaissance, avait été déguisé en matelot par les bons soins d’un capitaine de bateau, et qui, sa messe dite, disparaissait pour un autre asile et pour un autre métier.

C’est par centaines que l’on se raconte encore, d’un bout à l’autre du pays de Trêves, les anecdotes de marchands ambulans, de paysans, de houilleurs, qui le jour circulaient sur les chemins et qui, la nuit, redevenus prêtres à l’abri des ténèbres, officiaient dans des granges, visitaient des malades, catéchisaient des enfans. Les curés du diocèse de Cologne furent tous jaloux de ce paysan qui, dans une paroisse où le curé n’avait plus le droit de paraître, sortit de la foule, un jour, devant une tombe où l’on descendait un cercueil et, sous l’œil des gendarmes, proposa à tous ses camarades de dire entre eux les dernières prières : le curé lui-même, le curé qu’on cherchait, s’était ainsi grimé ; et peut-être les gendarmes rapportèrent-ils au préfet, comme le symptôme d’une victoire tardive de la loi, ce geste d’un paysan qui semblait résigné à se passer de prêtre.

Cependant à l’interdiction de séjour, sans cesse enfreinte, succédait, en vertu de la loi de 1874, l’expulsion hors de l’Empire. Ceux qui en étaient victimes renonçaient généralement à lutter ; ils considéraient que Dieu ne voulait plus d’eux en Allemagne. Ils laissaient s’élever une muraille entre eux et leurs familles : aucune permission de retour n’était accordée, même