Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prochain du christianisme. Mais, si la IVe Églogue n’est plus prise pour une prophétie, on y reconnaît la mise en œuvre de vieilles idées communes aux cultes orphiques, aux livres sibyllins, aux traditions messianiques juives, de ces idées qui ont tant agi sur la religion nouvelle à ses débuts. Et par là le lien se trouve renoué, indirectement à la vérité, entre Virgile et le christianisme. Hugo disait donc vrai, autrement qu’il ne le croyait, en reconnaissant chez son poète favori des aspirations vaguement conformes à celles de l’Eglise chrétienne naissante. Il s’est d’ailleurs bien gardé de fausser cette idée en l’exagérant. Avec un sens de la nuance qui n’est pas très fréquent chez lui, il a multiplié atténuations et restrictions : « dieu tout près d’être un ange, » « il chantait presque à l’heure où Jésus vagissait, » « à son insu même, » « de vagues flammes. » Quoi qu’il en soit de l’exactitude historique de son hypothèse, elle reste intéressante en ce qu’elle nous révèle le besoin qu’il éprouve de se sentir en parfait accord avec Virgile sur tous les points, dans le domaine des idées aussi bien que dans celui des sentimens. Elle nous fait mesurer aussi le chemin parcouru en dix ou douze ans. Vers 1825, celui qui était alors le poète des « ultras, » s’effarouchait, dans son catholicisme intransigeant, devant le paganisme de Virgile. Plus éclectique désormais, il n’a plus de pareils scrupules. Il ne veut plus damner un grand poète, il préfère le christianiser pour raccourcir la distance qui les sépare. Il lui répugnerait de ne pas penser comme Virgile.

Pense-t-il réellement comme lui ? ou n’est-ce qu’une pieuse illusion de disciple ? Il serait bien téméraire de prétendre que toute la philosophie de Hugo, à l’époque de sa maturité, lui ail été suggérée par Virgile. Il se peut, néanmoins, que Virgile y soit pour quelque chose, pour plus de chose qu’on ne le croit communément. C’est ce que Renouvier, en étudiant Hugo comme philosophe, avait trop oublié, et ce que M. Chabert, au contraire, a très justement mis en relief. Il s’attache surtout à l’une des pièces les plus importantes des Contemplations, à Ce que dit la bouche d’ombre, et il établit, entre la doctrine qui y est contenue et celle de Virgile, un rapprochement des plus curieux. Il est bien vrai qu’en lisant la Bouche d’ombre, on ne songe guère à Virgile : cette promenade éperdue au-dessus d’un gouffre, dans la main d’un spectre, est du plus pur romantisme ; et le gigantesque exposé du système contraste avec la sobriété virgilienne.