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Mais, à travers cette amplification démesurée, quelles sont les idées maîtresses que l’on peut discerner ? En première ligne, l’affirmation que l’âme est partout dans l’univers :


Vents, ondes, flammes,
Astres, roseaux, rochers, tout vit, tout est plein d’âmes.


Cette âme, créée d’abord pure et « impondérable, » a été altérée, souillée, alourdie par le mal, qui a produit la matière, et s’est pour ainsi dire concrétisé en elle :


La première faute
Fut le premier poids.


Elle peut cependant se relever par des expiations successives, par des incarnations renouvelées, où elle acquitte peu à peu sa dette. La vie terrestre n’est que le lieu du péché et de la peine. Plus tard, tout sera transformé ; le mal mourra, et le bien, l’ayant en quelque sorte absorbé en lui-même, régnera seul. Ainsi résumée dans un très bref sommaire, la théorie de Hugo ressemble trait pour trait à celle que, dans le VIe livre de l’Enéide, Anchise révèle à son fils. L’univers plein d’âmes, c’est mens agitat molem et magno se corpore miscet. La matière et le mal identifiés et détruisant tous deux la puissance céleste de l’âme, c’est noxia corpora tardant. Les réincarnations de Hugo, comme les purifications de Virgile, servent à éliminer progressivement toutes les traces de matière et de faute ; et, lorsque Hugo déclare que, pour mener à bien l’œuvre de son rachat, l’homme doit « oublier sa vie antérieure, » il ne fait que traduire en langage abstrait ce que Virgile exprime par le symbole du fleuve Léthé, où les âmes viennent boire l’eau d’ignorance et d’indifférence, qui leur permettra de recommencer à vivre. Seule l’idée du triomphe absolu du bien dans l’avenir manque à la révélation d’Anchise : la destinée humaine y est conçue comme un renouvellement perpétuel, mais sans progrès, comme un cercle sans cesse parcouru, mais toujours identique, au lieu que pour Hugo les purifications successives que subit l’âme humaine aboutissent à une transfiguration finale. Pourtant, même dans cette partie de son système, Hugo n’est pas en aussi complet désaccord avec Virgile qu’on pourrait le croire. Comme le remarque ingénieusement M. Chabert, si l’apothéose glorieuse et rassurante, qui termine la Bouche d’ombre, ne corresponde