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REVUES ÉTRANGÈRES.

la seconde les petits élèves étaient initiés à l’analyse du Pentateuque, et désormais le principal effort des professeurs, depuis Joseph de Faro, chargé de l’enseignement élémentaire, jusqu’aux fameux Manassé ben Israël et Saül Morteira, se concentrait sur l’étude philologique, historique, et symbolique de l’Ancien Testament, telle que l’éclairaient les innombrables commentaires des anciens écrivains talmudistes.

C’est donc, par-dessus tout, des doctrines du Talmud que s’est nourri, pendant sept ans, le jeune Despinoza ; et comme nous savons par ses biographes que, malgré l’estime singulière qu’il avait su inspirer à tous ses maîtres, et notamment à Saül Morteira, cette première phase de son éducation ne s’est pas achevée sans qu’il en fût arrivé déjà à douter grandement de la valeur surnaturelle de la religion où il était né, nous ne pouvons nous empêcher de vouloir rechercher, dans les divers ouvrages qu’il a certainement étudiés, les sources directes ou indirectes d’une crise religieuse qui était destinée à avoir les conséquences les plus graves à la fois pour le futur auteur lui-même du Traité théologico-politique et pour la pensée européenne tout entière depuis plus de deux siècles.


Directes ou indirectes, ces sources du doute religieux de Baruch doivent effectivement avoir été de deux sortes. Il y avait d’une part, dans les écrits talmudiques dont il s’imprégnait, une foule de conjectures ou de discussions qui l’accoutumaient expressément à attribuer une origine tout humaine à telle ou telle partie de la Bible. Le cycle désigné sous le nom de l’Agada, notamment, avait de quoi lui suggérer toute sorte de questions indiscrètes sur l’autorité des Livres Saints. Il y découvrait que, suivant certains rabbins des plus illustres, la reine de Saba ni le vénérable Job n’avaient jamais existé, que plusieurs des psaumes attribués à David avaient été composés avant la naissance de celui-ci, et que le témoignage personnel de Salomon ne s’accordait pas toujours avec celui des auteurs sacrés à son sujet. Mais tout cela n’était rien en comparaison du danger que devaient constituer, pour la foi d’un esprit éminemment critique et raisonnable comme celui du jeune garçon, les folles divagations « anthropomorphiques » des écrivains agadistes, prêtant de page en page à Dieu et aux anges un rôle ingénument fabuleux et quelque peu comique. L’un des thèmes favoris de ces écrivains n’était-il pas, — pour m’en tenir à ce seul exemple, — le long et minutieux récit de la manière dont Dieu avait sollicité et obtenu l’avis des anges, au moment de procéder à la création du monde ? Pas un des chapitres du texte sacré qui