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REVUES ÉTRANGÈRES.

contribuer à préparer aussi bien la critique et l’exégèse du philosophe que la partie positive de sa doctrine. Qu’il me suffise de signaler ici la traduction hollandaise d’un curieux roman du XIIe siècle, traduction dont un exemplaire, dans une bibliothèque d’Amsterdam, se trouve précisément avoir été relié, vers la fin du XVIIe siècle, avec la première édition hollandaise de l’Éthique. Le héros du roman est un « homme de la nature » que la contemplation du monde conduit par degrés à apercevoir l’identité intime des créatures et du Créateur. Ce personnage affirme l’unité de « l’esprit » qui nous apparaît réparti entre les divers animaux. Tous les animaux et toutes les plantes, « tous les corps, vivans et sans vie, inertes et doués de mouvement, » ne forment qu’un seul tout, et se confondent avec l’éternelle substance divine. Cette fois, nous reconnaissons clairement, en plus des « principes élémentaires » de la philosophie spinoziste, jusqu’à certaines des images qui lui seront chères, jusqu’à des tours de déduction employés par lui dans son Éthique. Et nous n’avons pas de peine à nous expliquer qu’un contemporain ait eu l’idée d’adjoindre à ce dernier livre, sous une même couverture, un ancien écrit qui vraiment lui aura semblé avoir eu de quoi inspirer le philosophe hollandais presque à l’égal du Discours de la Méthode et des Méditations de Descartes.

En réalité, cependant, il s’en faut que ce panthéisme mystique des métaphysiciens ou poètes juifs du moyen âge ait exercé sur le jeune Baruch une action aussi prompte et décisive que celle qu’avait auparavant exercée sur lui la morale talmudique. Ses propres confidences ultérieures nous apprennent que la découverte de son système a été précédée, dans sa vie, d’une période de scepticisme radical, où le spectacle des erreurs et des contradictions amoncelées autour de lui l’a poussé à désespérer de toute certitude. Le premier effet de ses études théologiques a été ainsi d’éteindre, dans son cœur, les dernières étincelles qui pouvaient encore s’y être conservées de la foi religieuse de ses pères ; et peut-être avait-il également déjà commencé, depuis lors, à subir l’influence de ces sceptiques chrétiens de France, d’Angleterre, et d’Espagne, dont les idées avaient rencontré en Hollande un accueil tout particulièrement empressé ? Car c’est vers ce même temps que le jeune homme, se rendant compte de l’intérêt qu’il y avait pour lui à ne pas rester emmuré dans les limites trop étroites de la pensée et de la science juives, s’était mis à apprendre le latin et le français, bien avant que les leçons du célèbre van den Ende achevassent de le