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l’élévation du maximum de la circulation à 3 500 millions, puis à 4 milliards par la loi du 26 janvier 1893. Ce chiffre, qui lui paraissait ne devoir jamais être dépassé, menaçait de l’être peu d’années après. La loi de renouvellement du privilège de 1897 crut avoir assuré l’avenir en fixant 5 milliards comme maximum. Dès le 9 février 1906, une loi le porta à 5 800 millions, et il est probable qu’il ne s’écoulera pas un très grand nombre d’années avant que les 6 milliards soient atteints. Tout récemment, un bilan de la Banque indiquait une circulation qui n’était plus qu’à 200 millions environ de la borne soi-disant infranchissable, et toujours franchie. Il y a quelque chose de puéril dans cette succession de lois dont le caractère empirique éclate avec une évidence frappante. Si nos législateurs prenaient la peine de réfléchir à la signification des phénomènes que nous venons de rappeler et qui sont la conséquence inévitable de la situation de la France au point de vue du commerce extérieur et de son rôle sur le marché des métaux précieux, ils changeraient de système et renonceraient à intervenir sur un domaine où ils ne font qu’enregistrer les conséquences d’événemens qui leur échappent ; mais quel Parlement aura le temps d’étudier une théorie de banque ? Quoi qu’il en soit, il est, bon gré mal gré, obligé d’obéir aux lois économiques, plus fortes que les hommes, qui gouvernent la monnaie et le crédit ; et, en dépit des limitations arbitraires, nous pouvons dire qu’en fait, sinon en droit, la Banque de France jouit d’une faculté d’émission illimitée.

Voilà un des élémens de sa force. Un autre réside dans ce fait qu’elle s’administre elle-même. Il est bien vrai que le Président de la République nomme quelques-uns de ses fonctionnaires. Mais là s’arrête le droit d’intervention de l’Etat. Quinze régens, trois censeurs sont élus par les actionnaires, et, si le gouverneur a un droit de veto, il n’a pas le pouvoir d’entraîner la Banque dans une voie où ses intérêts pourraient être compromis. Il ne saurait notamment, sans le concours des régens, disposer du crédit de l’établissement en faveur du Trésor, et c’est là le point capital. Tous les maux dont souffrent les banques d’émission, ou plutôt tous ceux qu’elles infligent dans certains pays à la communauté par la dépréciation de leur papier, ont une cause unique : l’abus que le gouvernement fait de leur signature pour se procurer des fonds. C’est là une vérité primordiale, qui domine toute la question des banques d’émission