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À cette date, il avait dû quitter la maison de santé du citoyen La Chapelle, et sa détention était devenue plus rigoureuse, ainsi que le prouve cette lettre que, quelques jours après son transfert, il écrivait à sa fille, la marquise de Saint-Pern, qu’il croyait en liberté.

« Mes forces diminuent, ma très chère fille ; privé de tout secours et de toute consolation dans cette prison où je suis au secret depuis le 16 de ce mois, le terme de ma trop longue existence peut être prochain. Pendant que j’ai encore ma tête, je vous écris pour vous faire mes adieux et pour vous renouveler, peut-être pour la dernière fois, l’assurance de ma vive reconnaissance de vos tendres soins et de cette véritable amitié dont vous m’avez donné tant de preuves dans tous les temps heureux et malheureux. J’emporte la douleur profonde de laisser après moi bien des malheureux et vous surtout, ma bien-aimée, qui méritez un autre sort. Que je vous plains et vos chers enfans ! Je suis occupé de vous le jour et la nuit, à la réserve du temps que j’emploie à demander au Dieu tout-puissant le pardon de mes péchés et à implorer sa miséricorde.

« J’ai été traité par l’administrateur Pommier (Dupaumier) avec toute la rigueur et la dureté possibles, beaucoup de cruauté, et même avec indécence, car arrivé dans ma chambre où j’étais au lit à minuit, je fus mis nu de la tête aux pieds et tâté partout par lui-même. J’ai été dépouillé de tout ce que j’avais ; on m’a seulement laissé quatre-vingt-dix livres, dont il ne me restait plus que quatre-vingts livres en arrivant à cette prison, après avoir été obligé de payer dix livres pour la voiture qui m’y a conduit.

« C’est le bien de mes créanciers (qui, comme vous le savez, sont un grand nombre) qu’on m’a enlevé ; c’est à eux qu’il appartient de le réclamer.

« Les quatre premiers jours de mon séjour ici, j’ai eu du traiteur de la maison un très mauvais dîner de trois livres ; enfin le cinquième, on m’a envoyé de chez moi du vin et un petit pâté. Depuis ce temps-là, on m’apporte une soupe et quelque autre chose en quantité suffisante pour prolonger ma malheureuse vie.

«… Sûrement vous ne m’oublierez pas, ma chère fille, dans vos ferventes prières ; je me recommande aussi à celles de votre chère fille, de votre vertueuse sœur, de son digne mari, de mon