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plus de patience que le ministère n’avait d’éternité. Six semaines plus tard, le 25 juin, troisième sommation. M. Clemenceau, piqué, donna de sa personne. Quand je dis qu’il donna ! Il se fit tout petit, accommodant, passif, bénin, se bornant à exprimer, à esquisser plutôt, moins qu’une opinion, un désir, un vœu. Question : « Le gouvernement veut-il, oui ou non, la discussion de la réforme électorale ? » Réponse, à deux reprises : « Il l’espère, » ou : « Il la souhaite ! » Impossible de le faire bouger de là ! Le bêlement d’Agnelet dans la Farce de maître Pathelin ! Le seul point que le président du Conseil distinguât alors nettement, la seule vérité qu’il crût, c’était qu’il fallait « d’abord mettre à l’ordre du jour la discussion du rapport de la Commission d’enquête sur la marine. » — Et moi, je crois que M. Clemenceau serait maintenant facilement d’accord avec nous pour convenir qu’en cette occasion il a manqué de prévoyance.

En attendant, une dizaine de jours avant sa chute, dans la séance du 12 juillet, interpellé sur sa politique générale, le président du Conseil ne put s’abstenir de toucher à ce sujet où il affectait d’autant plus de froideur qu’il le sentait plus brûlant. Il le fit en sautillant, en voletant, selon sa manière, mélange de plaisant qui ne dédaigne pas d’être drôle et de sérieux commandé qui aspire à être profond. Il proclama, aux rires répétés de la Chambre, que « s’il eût été possible, en temps utile, de présenter une loi sur la réforme électorale, il l’aurait fait volontiers, » mais que « l’ordre du jour avait toujours été très chargé ; » qu’il est indispensable que « l’action électorale et l’action administrative s’exercent dans les mêmes cadres ; » qu’il n’était pas ; « disposé à courir, pour la République, pour la France, une aventure aux élections prochaines ; » et que, pour tous ces motifs, quoique obstinément fidèle en principe au scrutin de liste qui demeurait sa doctrine, il entendait, comme président du Conseil, dans l’intérêt du parti républicain, garder le scrutin d’arrondissement. » — En ce qui concerne la représentation proportionnelle, sur laquelle, disait-il il est courtois et même politique de s’expliquer, toute l’explication consistait à essayer de s’en défaire par un croc-en-jambe. Il n’y avait plus, pour nous, qu’à conclure dans la Chambre et à repartir dans le pays. Dans la Chambre, notre conclusion fut : « Vous pouvez enterrer la réforme sous vos banquettes, mais