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vous l’y enterrez vivante, et elle les fera sauter. Vous aurez les élections de 1910 sur la réforme électorale, et les élections de 1914 avec la représentation proportionnelle. »


III

En somme, pendant près de trois ans que dura son ministère, M. Clemenceau, qu’un mot n’a jamais arrêté, et qui, comme on l’a dit d’un autre, « eût tué père et mère, plutôt que d’en manquer un bon, » semble avoir parodié, bouche close, silencieusement, à la muette, le fameux mot du président Dupin : « Je ne veux rien, je fais ce que je veux. » Mais ce n’est qu’une apparence, et il n’avait pas « dépouillé le vieil homme, » au point de ne pas s’échapper de temps en temps en boutades révélatrices. Il en est quelques-unes que je serais bien embarrassé de reproduire avec leur saveur un peu crue, mais il en est aussi qui peut-être étaient plus que des boutades : « Malheureux ! me dit-il un jour, vous voulez que les minorités soient représentées et que la majorité gouverne ? Vous voulez donc empêcher tout progrès ? Vous ne savez donc pas que, si jamais un gouvernement a pu quelque chose, c’est parce que la majorité même n’était pas représentée et qu’une minorité gouvernait. » Voilà pourquoi M. Clemenceau, président du Conseil, le Clemenceau seconde manière, le Clemenceau de gouvernement, tenait ferme sur cette maxime qu’adoptent si facilement les jacobins nantis : Quieta non movere. Ne point troubler l’eau qui dort.

Pendant près de trois ans que dura le ministère Clemenceau, M. Aristide Briand, je l’avoue, me parut être dans des dispositions d’esprit très différentes. A en juger par sa conversation, celui-là savait ce qu’il voulait, et, croyant comprendre qu’il voulait une réforme électorale, je croyais sentir, en mon cœur, que cette réforme électorale, dans le sien, était la représentation proportionnelle. Me suis-je trompé alors ? Ou se trompait-il lui-même ? N’aurais-je pas dû me rappeler que « les cardinaux ne pensent pas du tout quand ils sont dehors comme lorsqu’ils sont en conclave, » et bien moins encore comme lorsqu’ils sont devenus pape ? qu’entre l’héritier présomptif et le roi, il y a la couronne, qui change les idées ? et qu’en général l’héritier présomptif veut, ou annonce, ou laisse entendre qu’il veut tout ce que ne veut pas le roi régnant ? Quoi qu’il en