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l’auteur non pas un but, mais un moyen. Elle lui sert d’armature et de support pour soutenir l’œuvre, qui est une œuvre d’idées. Les faits ne prennent ici de valeur que par le retentissement qu’ils ont dans les consciences. C’est dans ces conflits d’idées et dans ces révolutions de conscience que réside tout l’intérêt. Faute de se mettre exactement à ce point de vue, on risque de mal apprécier ce genre de théâtre. Et ceux qui, tout en louant le Tribun pour ce qu’il enferme de philosophie, l’ont tout de même jugé comme ils auraient fait n’importe quel chef-d’œuvre de mécanique théâtrale, lui ont fait tort de l’essentiel, et « laissé sur le vert le noble de l’ouvrage. »

C’est d’une idée que M. Paul Bourget est parti. Il l’a lui-même exposée mieux que nous ne saurions faire. « Plus j’ai observé notre époque, écrit-il, « plus j’ai cru voir que toute une part des maux dont nous souffrons, venait de la méconnaissance de cette loi, formulée également par le catholique Bonald et par l’empirique Auguste Comte, par le romancier Balzac et par le naturaliste Haeckel : « L’unité sociale est la famille et non l’individu… » Si cette loi est vraie, essayer d’organiser la société en fonction de l’individu, c’est proprement aller contre la nature. L’homme possède ce dangereux pouvoir. Il peut penser faux et imposer son erreur aux faits jusqu’au moment où les faits prennent leur revanche. Ils la prennent toujours. » Imaginer un cas, agencer une « espèce, » non pas pour démontrer, mais pour rendre sensible cette idée et pour « l’illustrer, » tel est le problème qui se posait à l’écrivain.

Pour y apporter une solution, M. Bourget devait chercher autour de lui ses matériaux. Certes, il ne s’est pas borné à transporter à la scène, en le démarquant, quelque scandale récent ; il n’a pas pris ses acteurs parmi les personnages connus de l’actuelle comédie politique ; ce genre de littérature à allusions et à clef serait tout à fait indigne de lui, et, tout le monde en convient, le Tribun en est à cent lieues. Toutefois, dramaturge ou romancier, un auteur ne peut peindre que ce qu’il voit. Il emprunte aux spectacles du jour des fragmens de réalité qu’il recompose à son gré, aux hommes en vue des traits qui lui serviront pour une création originale. Cela suffit, mais cela est nécessaire pour écarter le soupçon de construction en l’air, de création artificielle et arbitraire, et donner aux choses et aux gens la marque d’une époque.

Donc ceci est une histoire d’aujourd’hui, à peine en avance de quelques heures sur la date où nous sommes. Le socialisme intégral est au pouvoir, en la personne d’un certain Portal, président