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touche et la plénitude du rendu, et tout à la fois pour la puissance et la sobriété, une chose achevée. Aucun dramaturge de carrière n’y aurait apporté plus de sûreté de main que ce romancier d’hier. L’effet a été considérable. Peu s’en est fallu même qu’il ne nuisît au reste de la pièce. Il s’est produit, les premiers soirs, un phénomène curieux. Le public de la répétition générale et de la première représentation, qui est un public de théâtre et dans ses appréciations se place exclusivement au point de vue « théâtre, » s’en allait dans les couloirs en répétant : « Voilà un acte magnifique. Et voilà une pièce terminée. Le père a épargné son fils. C’est le dénouement. Tout est fini. Ce qui viendra maintenant n’a aucune importance. On peut s’en aller. » Et le fait est qu’il a écouté le troisième acte d’une oreille distraite, avec une sorte de prévention, comme un acte inutile et qui fait longueur… C’était tout bonnement déséquilibrer la pièce, et oublier qu’elle n’a été écrite que pour nous montrer ce que deviendront, après ce choc intime, les théories exposées au premier acte par Portal. Il est vrai que M. Guitry, en donnant tout son effet au second acte et ensuite abandonnant à peu près la partie, a contribué pour sa forte part à cette erreur. Erreur toute « professionnelle » de « spécialistes, » et que le public des autres représentations n’a pas commise. En retournant écouter le Tribun, j’ai constaté que, devant un auditoire sans habitudes et préjugés de métier, l’œuvre reprend l’harmonie de son ensemble et que chaque partie s’y retrouve à son plan, avec sa véritable valeur.

Or dans ce drame d’idées, c’est bien le troisième acte qui était l’acte attendu et nécessaire, puisque c’est celui où nous allons assister à un changement dans les idées du tribun, à un renouvellement dans sa conscience. Le coup d’émotion du second acte n’était que le moyen employé pour amener cette révolution dans le domaine de la pensée. Portal vient de subir ce heurt, — que connaissent bien et que connaissent seuls ceux qui ont passé par une grande épreuve, — cette crise après laquelle nous regardons l’univers avec des yeux changés ; alors nous avons peine à nous reconnaître nous-même : l’image de celui que nous avons été nous fait horreur. Que va-t-il résulter de là pour le héraut du socialisme intégral ?

Cet acte de psychologie, venant après l’acte de drame, n’est pas seulement l’acte des délicats, c’est celui sans lequel la pièce serait dénuée de toute espèce de sens. L’impression n’en est pas moins poignante que celle du second acte, mais elle est de qualité plus subtile. Le mouvement est d’ailleurs le même, transposé seulement