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favori d’orateur est le geste du pécheur qui promène son fil : ainsi ses mains vont et viennent, d’un bout à l’autre de l’assemblée, attrapant, traînant et ramenant les assentimens. La supériorité de M. Briand, à la tribune, est faite d’autre chose encore sans doute, mais de ceci d’abord qu’il n’est jamais préoccupé de ce qu’il veut dire à la Chambre, et qu’il l’est continuellement de ce que la Chambre veut qu’on lui dise, de ce qu’on doit lui dire dans la minute même où il lui parle, et qu’on n’eût pas pu lui dire la minute d’avant, et qu’on ne pourrait plus lui dire la minute d’après. Il a, au plus haut point, le sens de l’opportunité du discours, des attitudes et des inflexions de voix ; il sent, au moment précis, quand il convient de flatter, d’ironiser, de vitupérer, d’adjurer, d’aller chercher l’émotion dans les profondeurs. C’est une intelligence aussi peu cérébrale que possible, une intelligence tactile ; M. Briand comprend avec le bout des doigts, comme certains insectes sentent avec les antennes. Tout cela en ferait assez pour qu’on pût conclure, à sa louange, qu’il est « grand connaisseur de l’occasion, » s’il n’avait, coup sur coup, en deux circonstances au moins, laissé échapper de belles occasions d’être plus qu’un politicien habile, d’être un homme d’État hors de pair dans le lot qui s’étale à notre choix. On s’accorde à reconnaître que M. Briand parle très bien, mais, quelque remarquable qu’il soit lorsqu’il parle, il l’est beaucoup plus encore lorsqu’il écoute. Il écoute admirablement, avec une puissance d’attention, une intensité et comme une volonté d’absorption incomparable ; seulement, il écoute de plusieurs côtés en même temps, et, alternativement, il entend mieux d’un côté que de l’autre, ainsi qu’il fit, le 8 novembre 1909, entre M. Millerand et M. Berteaux, entre les proportionnantes et les « arrondissementiers. » Des collaborateurs intimes qui se disputent sa faveur, — et nul ministre n’en eut plus que lui, — aucun ne peut se vanter de posséder « les deux clefs du cœur de l’empereur Frédéric, » mais chacun du moins en a une, et chacun l’ouvre tour à tour. Le malheur est, avec ces natures-là, qu’on pourrait prendre pour de la duplicité ce qui, chez elles, n’est que de la coquetterie, pour de la coquetterie ce qui n’est que de l’irrésolution, et pour de l’irrésolu Lion ce qui n’est que de la nonchalance. C’est aussi que, cette espèce d’hommes d’Etat improvisés et improvisateurs connaissant peu les questions par eux-mêmes et n’aimant pas à les apprendre, on a rarement