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encore asservi à elle, soit par son tempérament, soit par son éducation.

Si l’on voulait faire la psychologie complète du puritanisme, il serait impossible de se borner à l’examen d’un élément unique, et l’on peut trouver arbitraire et artificiel d’isoler ainsi ce que nous appelons l’hédonéphobie ; mais si l’on reconnaît que cet élément, pour n’être logiquement ni le premier, ni le plus important, n’en est pas moins le plus général, le plus caractéristique, et celui dont les effets s’étendent le plus loin, il semble que l’étude en soit justifiée.


II

Si l’on écarte le point de vue proprement théologique du puritanisme pour en considérer le côté moral, il apparaît comme une sorte d’ascétisme. Quels en sont donc à cet égard les caractères particuliers, et peut-il se distinguer des formes d’ascétisme recommandées par d’autres philosophies et religions ?

Jusqu’à un certain point, il coïncide forcément avec elles, toutes les philosophies aprioristes et toutes les religions de renoncement enseignant plus ou moins la fuite ou tout au moins le mépris du plaisir. Mais nulle part il n’est considéré comme aussi complètement et nécessairement mauvais que dans le puritanisme. Tous les mystiques le condamnent comme nuisant à l’élévation de l’âme vers Dieu : embarrassée de soucis terrestres, elle ne peut s’épurer pour s’élever à lui. Il en est de même chez les bouddhistes, dont la morale n’est pas très éloignée de celle du christianisme. Bien plus, tout un courant de philosophie païenne soutient les mêmes idées. Du mystique Platon au rationaliste Kant, tous les moralistes qui proposent à l’homme le bien comme fin de l’activité, le devoir comme loi morale, se rencontrent avec les philosophes religieux, qu’ils soient bouddhistes ou chrétiens. Tous ont un ennemi commun : la recherche du plaisir, l’hédonisme, représenté par les divers systèmes naturalistes d’Epicure à Spencer. Or, la morale puritaine n’est qu’une forme de la morale chrétienne qui appartient au grand groupe des morales aprioristes, rationnelles et mystiques. S’en distingue-t-elle en quelque façon ? A-t-elle des caractères propres, des traits particuliers qui permettent de l’isoler ?