Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/822

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le culte de la beauté, séduisent les lettrés, l’aristocratie d’intelligence et de naissance, sans toucher le peuple, auquel il reste même nettement antipathique. Le peuple n’apprécie pas la beauté et les jouissances qui lui sont étrangères, qu’il paye parfois cher sans y participer ; mais sa curiosité s’éveille pour tes questions de morale, pour la Bible, le seul livre qu’il connaisse, et dont la poésie séduit son imagination. Actif d’ailleurs plutôt que rêveur, il cherche aussitôt à mettre ses idées à exécution : il prosélytise, il anathématise, encourage l’austérité, la laideur même, détruit les églises et les théâtres, et toujours pratique, jusque dans sa religion, poursuit en même temps ses intérêts politiques et le salut de son âme.

Réprimés par Marie Tudor, découragés par Elisabeth et les Stuarts, les puritains s’insurgent et se révoltent. Puis, s’étant emparés du pouvoir, ils se mettent à s’entre-déchirer jusqu’à ce que la monarchie rétablie les fasse rentrer dans l’ordre. C’est au cours de cette évolution que l’on voit grandir l’hédonéphobie, et que l’on peut en fixer les traits principaux.

Il convient ici de distinguer l’Eglise anglicane du protestantisme puritain. « Elle ne proscrit pas le beau, dit Taine, elle conserve plus qu’aucune Eglise réformée les nobles pompes de l’ancien culte… Par tous ses canaux, elle reçoit l’esprit du siècle. Aussi, entre ses mains, la Réforme peut ne pas devenir hostile à la science, à la poésie, aux larges idées de la Renaissance. » Forme mitigée du catholicisme, catholicisme sans Pape, l’Eglise anglicane convient surtout à la cour, aux gens du monde, aux lettrés. Le peuple exige une réforme plus radicale, et, s’attachant aux dogmes de Calvin, les pousse à leurs conclusions extrêmes, chacun selon les besoins de son intelligence et de son tempérament. D’où les sectes innombrables, toutes plus ou moins puritaines, qui se formèrent rapidement et se partagent encore aujourd’hui l’Angleterre. En France, au contraire, le protestantisme semble avoir été surtout une affaire de raison, une question intellectuelle ; il semble être en opposition avec le tempérament de la nation, un accident dans son histoire. Il en est de même pour le jansénisme, que Sainte-Beuve a appelé « ce puritanisme dans le catholicisme. » Le Français est d’un naturel trop gai, il est surtout trop sensible à la beauté sous toutes ses formes, pour se complaire à ces