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Nommé premier grand prix de Rome, à son cinquième concours, avec la cantate Sardanapale, Berlioz, chez qui la passion pour miss Smithson semblait avoir cédé devant un goût très vif pour la jolie pianiste Camille Moke, devenue assez vite sa fiancée, partit pour Rome après avoir fait exécuter, le 5 décembre 1830, la Symphonie fantastique, et gagné l’amitié de Franz Liszt.

L’antique proverbe : « les absens ont toujours tort » fut vrai une fois de plus. Camille Moke se hâta d’oublier cet amoureux qui n’était pas pour elle le premier, ni surtout le dernier. Au moment même où Berlioz désertait l’Ecole de Rome pour revenir chercher en France l’explication du silence incroyable de sa fiancée, il apprenait qu’elle épousait le « quadragénaire » Pleyel, facteur de pianos. Tragique désespoir et suicide manqué, — d’aucuns disent simulé ou, purement et simplement, imaginaire, — dans le golfe de Gènes ; regrets, confusion de cet accès de démence et rentrée à la Villa Médicis ; séjour à Nice apaisant et laborieux ; utilisation des douleurs récentes pour le Mélologue en six parties ou Retour à la vie, qui fera suite à la Symphonie fantastique, cette expression des anciens tourmens ; excursions fréquentes à « Soubiac » (Subiaco) ; visites à Naples, au Vésuve, aux ruines de Pompéi ; voyage en France et station en Dauphiné ; enfin, grand concert dans la salle du Conservatoire, le dimanche 2 décembre 1832. Cette fois, grâce au « sublime irrésistible » de l’acteur Bocage dans la déclamation des tirades en prose rythmée qui commentaient, à la satisfaction du public ordinaire, les souffrances et les espoirs du « jeune artiste, » exprimés, pour les musiciens, par toutes les ressources de l’orchestre, le compositeur est plus qu’applaudi : beaucoup d’auditeurs l’acclament. Henriette Smithson, récemment revenue à Paris, se trouve dans la salle, on l’a vue « pleurer » d’admiration[1]. La passion de Berlioz se rallume tout aussitôt avec une ardeur inouïe.

L’échec complet de la tragédienne dans son entreprise théâtrale est pour son adorateur idolâtre une cause de tristesse, mais non pas de découragement. L’accident de voiture, où elle

  1. « Elle a entendu l’ouvrage dont elle est le sujet et la cause première, elle en a pleuré, elle a vu mon furieux succès. Cela est allé droit à son cœur, elle m’a fait témoigner, après le concert, son enthousiasme, etc. » Lettre à Albert du Boys, du 5 janvier 1833. Correspondance publiée par J. Tiersot, les Années romantiques, p. 217.