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l’on accepte comme exacts tous les termes du compte rendu qu’il adressa aux siens trois jours après le succès, l’accueil des artistes aurait été enthousiaste. On exigea de l’orchestre, d’ailleurs, qu’il jouât deux fois, « malgré la longueur énorme du morceau, » la Marche du supplice. « Henriette était dans un transport de joie dont toi seule au monde, — c’est à sa sœur Adèle qu’il écrit, — peux avoir une idée. Elle était si ravie, en sortant au milieu des félicitations qui lui venaient des Alfred de Vigny, Hugo, E. Deschamps, Legouvé, Eugène Sue ! »

Remarquons-le : parmi les noms de ces littérateurs, si satisfaits de l’heureux résultat, et qui, dans une certaine mesure, avaient dû le déterminer par leur parti pris d’applaudir, le nom d’Alfred de Vigny se place au premier rang. Ce n’est pas un hasard de plume. Dès ce moment, Berlioz a deux amis chers, deux vrais consolateurs, qu’il appelle au secours, lorsque des « froissemens dans ses affections d’art » le rendent malheureux jusqu’aux larmes : » ces deux amis sont Liszt et Alfred de Vigny. « Je voudrais te voir, » écrit-il au premier, vers le début de mai 1834. Il ajoute aussitôt : « De Vigny viendra-t-il ? Il a quelque chose de doux et d’affectueux dans l’esprit qui me charme toujours, mais qui me serait presque nécessaire aujourd’hui. Pourquoi n’êtes-vous pas là tous les deux ? » Il cite le mot du poète Moore : « Il n’est rien de vrai, il n’est rien de brillant que le ciel. » Malheureusement, le ciel n’est qu’un mot pour lui : « Mon ciel, c’est le monde poétique, et il y a une chenille sur chacune de ses fleurs… Tiens, viens me voir, amène-moi de Vigny : tu me manques, vous me manquez. »

L’humble ménage Berlioz s’est installé, vers le début d’avril de 1834, à Montmartre, rue Saint-Denis, n° 10. A certains jours, quelques amis de choix, dont est Vigny, escaladent la butte. Au début de mai, par exemple, Berlioz adresse au pianiste polonais qu’il appelle assez plaisamment « mon cher Chopinetto » l’invitation suivante : « . J’ai l’espoir que Hiller, Liszt et Vigny seront accompagnés de Chopin. Enorme bêtise ! Tant pis. » Le 12 mai, il rend compte à sa sœur de cette « partie de campagne. » On devine toute la fierté que lui a causée la visite de tels amis : « C’étaient des célébrités musicales et poétiques, MM. Alfred de Vigny, Antoni Deschamps, Liszt, Hiller et Chopin. Nous avons causé, discuté art, poésie, pensée, musique, drame, enfin ce qui constitue la vie, en présence de cette belle