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croyaient au génie tragique de l’auteur de Saül et de Clytemnestre, s’appliquèrent à le détourner de la fréquentation de l’Opéra. Dans le volume de vers, intitulé Tableaux poétiques et publié en 1828, Jules de Bes9éguier, compatriote de Soumet et son intime ami, lui adressait cette adjuration, de style troubadour, dont la candeur est peu commune :


Mais l’on dit qu’une fée, en son brillant empire,
T’ouvre un palais magique ou la muse soupire,
Où cent jeunes beautés, se tenant par la main,
Sous les paillettes d’or, sous le lin des bergères,
Enlacent le poète en leurs danses légères,
Et du temple sacré lui ferment le chemin.
De ces enchantemens crains la douceur perfide ;
Souviens-toi de Renaud dans les jardins d’Armide :
Fuis, fuis de ce séjour les pièges gracieux ;
Prends ton vol, comme l’aigle, et monte dans les cieux.
La Poésie est Reine et fière ; et son génie
Dédaigne le secours d’une molle harmonie.


Soumet ne voulut pas « affliger les amis de sa gloire, » comme disait pompeusement Jules de Rességuier : il s’abstint désormais de mettre ses rimes au service des musiciens ; il revint à la tragédie.

Avec Berlioz comme avec Spontini. Alfred de Vigny ne dépassa pas l’intention ; d’autres travaux : Servitude et grandeur militaires, Chatterton, l’empêchèrent de passer à l’acte. Deux de ses jeunes amis, Léon de Wailly et Auguste Barbier, sans renoncer aux conseils de l’auteur d’Othello et de la Maréchale d’Ancre, mais surtout en suivant les indications, en se pliant docilement aux exigences de Berlioz, bâtirent le livret et improvisèrent les vers de ce Benvenuto Cellini. A la fin d’août 1834, le poème fut refusé par Crosnier, le directeur de l’Opéra-Comique. Berlioz dut prendre son parti de le porter à l’Opéra. Pour obtenir ici meilleur accueil, il s’avisa de joindre un nom de plus, celui d’Alfred de Vigny, à ceux des deux autres collaborateurs et, plus d’une fois, dans des lettres à sa mère ou à sa sœur Adèle, il citera les trois auteurs : « Le poème est de Vigny, Barbier et Léon de Wailly » et encore : « Le nouveau directeur (de l’Opéra) étant dans de tout autres dispositions que son prédécesseur[1], je lui ai présenté un opéra en deux actes

  1. Duponchel succédait à Véron.