Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Institut (21 juin 1856) et avant l’élection de Beulé comme secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, le 12 avril 1862. Berlioz, qui souhaita le poste, dont Beulé fut nommé titulaire, aurait-il éprouvé le besoin, dans ces jours de compétition, de venir chercher chez Vigny ou un appui ou des conseils qui lui avaient rarement fait défaut ? Ce sont, je le reconnais, de simples conjectures. Ce qui pourrait les excuser, à la rigueur, c’est que mis à part le séjour au Maine-Giraud, on ne voit pas, dans la longue amitié de Berlioz et de Vigny, d’autre place pour ces « deux ans et trois mois » de séparation complète.

Pour revenir aux faits, un an à peine après être rentré de la Charente, Vigny reçut de Berlioz une lettre datée du « mardi 19. » Elle est de décembre 1854. C’est une invitation à venir le 24 décembre au deuxième concert de l’Enfance du Christ.


« Mardi 19.

« Mon cher de Vigny, venez donc dimanche prochain à deux heures entendre la deuxième exécution de mon oratorio l’Enfance du Christ ; vous me ferez un bien grand plaisir. Cela ne dure qu’une heure et demie et, d’après l’expérience faite in anima… publica, c’est assez peu redoutable. Vous n’aurez pas le temps de vous endormir. Adieu, cher poète invisible[1], croyez à la sincère, fidèle et affectueuse admiration de votre tout dévoué H. BERLIOZ. »


Alfred de Vigny entendit-il, en 1855, les « concerts monstres » de l’Exposition universelle au Palais de l’Industrie ? Assista-t-il, en 1856, au Te Deum de Saint-Eustache ? Rien ne permet de l’affirmer ni de soutenir le contraire. Ce qui est trop certain, c’est qu’au moment où la nouvelle du succès de Béatrice et Bénédict, représenté en août 1862, à l’inauguration du théâtre de Bade, put arriver jusqu’à lui, Vigny était déjà torturé par le mal profond dont il devait mourir. Ce succès venait tard pour Berlioz lui-même : « On m’a rappelé je ne sais combien de fois, — écrivait-il à son fils. — Tous mes amis sont dans la joie. Moi, j’ai assisté à cela dans une insensibilité complète ; c’était un de mes jours de souffrance, et tout m’était

  1. C’est ici la véritable allusion à la longue éclipse causée par le séjour en angoumois.