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seule les attache au régime actuel. Dans l’Inde anglaise, outre la foule des emplois dans le service provincial, les indigènes peuvent prétendre aux fonctions les plus hautes : un sixième des places leur est réservé dans le Service civil indien, qui est le grand état-major général de l’administration ; comme inspecteurs, magistrats, chefs de district, conseillers, ils ont des appointemens dignes de leur situation sociale qui est supérieure à celle qu’ils trouveraient dans un bouleversement, dignes aussi de la nation qui les emploie et qui peut compter sur eux. Chez nous, leur situation matérielle ne dépasse jamais les 6 000 francs annuels de quelques privilégiés. Nous sommes plus parcimonieux encore dans la considération morale que nous leur accordons : il suffit d’avoir séjourné quelque temps en Indochine pour savoir combien est volontairement faible notre action sur le tout-puissant levier de la vanité annamite. Ainsi, la domination française n’est pas étayée par l’amour-propre et l’intérêt qui sont, dans une colonie, les facteurs les plus importans de la stabilité politique ; et M. Klobukowsky, comme ses prédécesseurs, ne parviendra pas, à coups de circulaires, à modifier chez nos compatriotes leur mentalité de conquérans établis en maîtres dans un pays taillable et corvéable à merci.

Notre conquête, d’ailleurs, est trop récente encore pour que les théoriciens de l’enseignement à outrance aient pu nous faire tout le mal qu’ils ont rêvé d’accomplir. La diffusion irréfléchie de l’instruction livresque est, en effet, la cause principale de l’Indian Unrest ; elle a créé dans l’Inde la classe dangereuse des babous turbulens, demi-savans comparables aux déclassés de chez nous, aux anarchistes russes, à qui une révolution peut seule donner l’occasion d’utiliser leur savoir et de satisfaire leur ambition. Pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer, nous n’avons pas été trompés par le mirage de l’enseignement obligatoire du français, des Facultés d’enseignement supérieur. Sous la pression de l’opinion publique, éclairée à temps par les avis d’hommes expérimentés, notre système d’écoles cantonales, d’écoles provinciales avec l’Université indochinoise pour couronnement est, malgré ses nombreuses imperfections, conçu dans un sens utilitaire et pratique. En outre, le privilège des avocats-défenseurs, récemment aboli, réservant les joules judiciaires a un nombre restreint de Français, a rendu les Annamites insensibles aux diplômes métropolitains des