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sentimens originaux ; ils ont élargi son expérience de la vie et de l’âme humaine ; ils ont fourni à son observation de romancier et de novelliste la matière d’un très grand nombre de descriptions nouvelles, de détails de mœurs inédits, de curieux « portraits » ou « eaux-fortes, » de sujets même. Si féconde que soit l’imagination d’un conteur, il doit souvent éprouver le besoin, surtout s’il se pique de travailler sur le réel, d’en diversifier et d’en rafraîchir les sources. Les voyages multipliés, la fréquentation de nouveaux milieux, la vision et l’étude d’autres types humains que ceux que nous coudoyons sur le boulevard en sont peut-être le meilleur moyen. Moitié par goût personnel, moitié par obligation de métier, M. Bourget était donc prédestiné à être le peintre par excellence de la société cosmopolite. Dès ses premiers romans « parisiens, » il l’était déjà. Il le sera de plus en plus, à mesure qu’il produira davantage, et qu’il sera plus préoccupé de ne point se répéter. « Puisque tu tiens album de figurines cosmopolites[1], » se fait-il dire quelque part par un ami. L’écrivain a largement puisé dans cet album pour écrire tous ses livres. Il y a surtout puisé peut-être pour écrire les innombrables nouvelles qu’il a, depuis près de quarante ans, publiées.

Je ne sais si l’on a jamais étudié comme il le mériterait M. Bourget novelliste. Je crains que son originalité à cet égard n’ait été comme recouverte par le succès même de ses grands romans et n’ait failli sombrer dans leur gloire. Nous-même, après avoir protesté contre cet oubli, n’allons-nous pas mériter le reproche que nous sommes tenté d’adresser à d’autres, et par notre brièveté même, n’allons-nous pas paraître attacher trop peu d’importance à cette partie de son œuvre ? Quatorze volumes de nouvelles, — presque autant que de romans, — sont pourtant un bagage, que plus d’un novelliste professionnel et classé pourrait lui envier. M. Bourget, en un très suggestif et fécond article sur Balzac novelliste[2], loue avec raison le grand romancier d’avoir, — chose extrêmement rare, en effet, — aussi bien réussi dans la simple nouvelle que dans le grand roman. On peut lui adresser pareil éloge ; et ce ne serait pas là d’ailleurs le seul trait qu’il eût de commun avec le fécond auteur du Père Goriot. C’est que, et M. Bourget la très bien vu et excellemment

  1. Recommencemens, éd. définitive, p. 188.
  2. Études et Portraits, t. III, p. 246-200.