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l’exemple de son illustre frère, a voulu comparaître sans voiles devant la postérité, délicieusement « moderne » et « parisienne » sous son rôle emprunté de Vénus Victorieuse !


Antonio Canova était âgé de quarante ans, et commençait déjà à régner sans rival dans l’art italien de son temps lorsque, le 6 août 1797, il entra pour la première fois en rapports avec le futur empereur. Il était né dans un village des environs de Venise, d’une humble famille de paysans ; et sa rapide fortune avait eu comme point de départ un Lion de Saint Marc qu’il avait sculpté dans une motte de beurre, pour décorer la table d’un dîner dans la villa d’un sénateur vénitien, — début auquel l’on serait tenté d’attribuer une portée presque symbolique si l’on ne se rappelait qu’à la mollesse, vraiment un peu « beurrée, » d’un trop grand nombre des gracieuses productions du sculpteur, s’est plus d’une fois substituée, dans son art, la simple et virile beauté de figures du genre du Napoléon milanais ou des admirables lions couchés du monument funéraire du pape Clément XIII[1]. Après quelques années d’assez médiocres études à Venise, le jeune Antonio était venu en 1780 s’installer à Home, où devait désormais s’écouler toute sa carrière : mais il n’en avait pas moins obtenu, tous les ans, une subvention du gouvernement vénitien, jusqu’au moment où la nouvelle municipalité jacobine, succédant au vénérable Sénat de la Sérénissime République défunte, avait jugé inutile de continuer à protéger le luxe, tout « aristocratique, » de la création de belles œuvres d’art ; et c’est précisément à propos de cette perte de sa pension que Canova eut la surprise de recevoir une lettre déjà tout aimable de l’homme en qui il n’avait vu, jusque-là, que le meurtrier de sa chère patrie. De Milan, le 19 thermidor an V, le jeune chef de l’armée d’Italie lui écrivait :


J’apprends, monsieur, par un de vos amis, que vous êtes privé de la pension dont vous jouissiez à Venise. La République française fait un cas particulier des grands talens qui vous distinguent. Artiste célèbre, vous avez un droit particulier à la protection de l’armée d’Italie. Je viens de

  1. Encore n’en demeure-t-il pas moins certain que tous les efforts de M. Malamani auront beaucoup de peine à nous faire comprendre la célébrité prodigieuse qui, pendant un demi-siècle, s’est attachée dans l’Europe entière au nom de Canova. Combien par exemple, l’œuvre du Bernin, — telle que nous l’a excellemment rappelée, ces jours-ci, une savante étude de M. Paul Alfassa dans la Revue de l’art ancien et moderne, — combien cette œuvre même nous apparaît supérieure en véritable vie et beauté artistique au « classicisme » langoureux et timide d’un sculpteur qui croyait ingénument continuer Phidias en imitant la Vénus de Médicis et l’Apollon du Belvédère !