Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour nous le même intérêt que le journal intime où, huit ans plus tard, il notera tout le détail de ses entretiens avec l’empereur. Nous y découvrons cependant que Napoléon, dès ce moment, ne lui a pas ménagé les témoignages d’une sympathie qui s’adressait en lui à l’homme intelligent et bon autant qu’à l’artiste. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, par exemple, le sculpteur s’est senti assez à l’aise auprès de son modèle pour ne pas craindre de lui exposer franchement les vœux qu’il formait pour la délivrance de sa patrie, et est même parvenu à obtenir pour elle l’allégement de certaines servitudes. Souvent aussi il a eu l’occasion d’assister à des scènes intimes qui lui prouvaient à quel point Joséphine continuait de posséder la tendre affection de son mari : ce dernier ne pouvait la voir entrer dans la chambre où avaient lieu les séances sans l’attirer à soi et la combler de caresses. Mais surtout, Napoléon ne se fatiguait pas d’insister pour que le sculpteur consentît à se fixer désormais en France, où il voulait lui confier la direction des musées nationaux, et créer pour lui une sorte de surintendance ou de ministère des arts, — sans que, toutefois, ses offres et promesses les plus tentantes réussissent à ébranler, chez l’ardent patriote, la résolution de reprendre au plus tôt le chemin de l’Italie.

C’est vers le milieu de novembre que Canova eut la joie de pouvoir mettre la dernière main à une grande maquette en plâtre du buste projeté, conservée aujourd’hui à Possagno, — le village natal du maître, — et dont la comparaison avec les portraits ultérieurs qu’il en a tirés aurait de quoi nous fournir une très précieuse leçon d’interprétation artistique. Impossible d’imaginer une figure plus parfaitement vraie et, dirais-je volontiers, « journalière » que ce buste original où nous avons l’impression de percevoir jusqu’au battement des paupières, jusqu’au frémissement continu des fines lèvres et des ailes du nez. Avec le désordre amusant des cheveux, — qu’un baiser de Joséphine, peut-être, vient d’emmêler au hasard sur la massive paroi du front, — avec l’ombre légère d’un récent sourire s’attardant encore aux coins de la bouche, avec l’inclinaison abandonnée du cou qu’enserrent les tours nombreux de la cravate, sous le haut collet ouvert de l’uniforme, voilà évidemment le Premier Consul tel que l’a vu Canova dans l’instant même où il s’est arrêté de façonner son plâtre ! Mais nous n’avons là qu’un aspect particulier d’un visage infiniment mobile et divers : tandis que déjà le buste en marbre du Palais Pitti, immédiatement dérivé de ce plâtre d’après nature, s’efforce de donner aux traits une réalité plus profonde et plus durable, en les dégageant