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de tout ce que le sculpteur, au début, avait été contraint d’y introduire de trop « momentané. » Chacun des détails du buste primitif s’y retrouve, mais comme rehaussé et mis en valeur, pénétré d’une expression et d’une vie plus intenses. Ce que l’étude d’après nature nous laissait simplement deviner, nous le lisons maintenant avec une clarté, une évidence et une beauté supérieures : sous le jeune Corse énergique et nerveux qui nous était d’abord apparu, nous découvrons le Premier Consul. Et c’est par un autre procédé analogue d’approfondissement toujours scrupuleux et fidèle que l’artiste, dans la grande statue de Londres et dans sa réduction milanaise, substituera à cette image d’un grand homme celle d’un héros, dépouillant plus complètement encore de toutes ses nuances passagères et accidentelles le visage authentique de Napoléon, — comme si le buste d’après nature n’eût été pour lui que le premier « brouillon » de la traduction d’un texte dont, à présent enfin, il serait parvenu à nous restituer le véritable sens.

La maquette achevée, Canova s’empressa de solliciter son audience de congé. Il l’obtint en compagnie d’un ambassadeur envoyé auprès de Bonaparte par le bey de Tunis ; et tout d’abord le Consul, s’adressant à ce dernier par l’entremise d’un interprète, le chargea de faire savoir à son maître le « vif intérêt qu’il portait aux esclaves de religion chrétienne. » Puis, se retournant vers le sculpteur : « Ne manquez pas, lui dit-il, de saluer pour moi le Saint-Père, et de lui rapporter que vous m’avez entendu recommander la liberté des chrétiens ! »


Mais il me tarde d’arriver à ce second séjour à Paris pendant lequel, comme je l’ai dit, Antonio Canova a eu l’excellente pensée d’écrire pour nous, chaque soir, la relation détaillée de ses entrevues avec Napoléon. Celui-ci, depuis les séances de l’automne de 1802, n’avait point cessé d’admirer passionnément l’art du moderne Phidias, ni de se rappeler son ancien désir de l’avoir près de soi aussi bien pour exécuter ses effigies officielles que pour l’assister dans son rôle de protecteur des arts. Longtemps absorbé par les soucis de la guerre, l’un de ses premiers soins après le traité de Vienne fut d’appeler de nouveau à Paris le maître vénitien. « Le cas particulier que Sa Majesté fait de vos talens supérieurs et de vos connaissances dans tous les arts qui dépendent du dessin, — écrivait à Canova, d’Amsterdam, le 22 août 1810, le comte Pierre Daru, — lui a fait penser que vos avis pourraient contribuer puissamment à porter vers la perfection les