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travaux d’art qu’Elle l’ait exécuter, et qui doivent perpétuer la splendeur de son règne. Ce nouvel emploi de vos lumières ne nuirait en rien à l’exercice de l’art que vous pratiquez avec tant de distinction ; et je ne doute pas que les dispositions dans lesquelles se trouve Sa Majesté devons attachera sa personne, en vous fixant dans la capitale de l’Empire, ne vous touchent sensiblement. »

La vérité est que ces « dispositions » du tout-puissant Empereur eurent pour effet d’épouvanter le pauvre Canova. ainsi que nous le prouve assez clairement sa réponse affolée à la lettre de Daru. « Sa Majesté, y écrivait-il, peut me commander de consacrer à son service exclusif tout le reste de mes jours : j’obéirai, car ma vie lui appartient. Mais Elle ne saurait, sans contredire son cœur magnanime et sans violer la splendeur de son nom, Elle ne saurait, dis-je, vouloir vraiment que je renonce à moi-même, à mon art, à ma gloire. Si seulement mes travaux ont mérité d’obtenir d’Elle un gracieux égard, Elle daignera consentir à me laisser dans ma pacifique retraite, en songeant que cette retraite m’est indispensable pour me rendre moins indigne de sa protection. » Et peut-être cet homme d’un cœur doux et timide aurait-il trouvé le courage de résister jusqu’au bout à la volonté du vainqueur de l’Europe, sans l’énergique-pression exercée sur lui par tous ses confrères de Rome et de Florence, désireux d’exploiter à leur propre profit l’influence de leur glorieux ami auprès de l’Empereur. Il y eut là une petite comédie des plus amusantes, un véritable complot organisé pour forcer Canova à accepter une invitation que lui rendait plus pénible encore le souvenir de la conduite récente de Napoléon à l’égard de son vénéré maître, le pape Pie VII. Du moins l’artiste réussit-il à obtenir de n’être appelé en France que pour exécuter le portrait de la nouvelle impératrice, avec pleine permission pour lui de revenir à Rome dès que les séances de pose seraient terminées.

Le « journal » qu’il a consacré au récit de ces séances a été publié pour la première fois en 1865, par un érudit de la petite ville de Bassano, dans un de ces recueils collectifs que les lettrés italiens ont coutume d’offrir à un jeune couple ami, comme cadeaux de noces. J’ignore si quelqu’un, chez nous, s’est jamais avisé de le traduire : mais à coup sûr ce document mériterait d’être mieux connu, car peu d’écrits contemporains nous apportent aujourd’hui un écho plus vivant de la conversation familière de Napoléon. Non seulement Canova s’y est évidemment efforcé de reproduire jusque dans leurs moindres nuances les paroles qu’il recueillait de la bouche de