Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/928

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la France ne soit pas religieuse ? — Pas assez, Sire, pas assez ! répondis-je en souriant. Et si vous aviez des sujets vraiment religieux, vous trouveriez chez eux encore plus d’affection et d’obéissance pour vous !…

À ce moment de l’entretien, le maréchal Duroc entra dans la chambre. Mais l’Empereur n’en poursuivit pas moins son sujet :

— Et cette menace d’excommunication ! Cela fait rire ! Ne sait-il pas (le pape) que, à la fin, nous pourrions devenir comme les Anglais ou les Russes ? — Je demande pardon à Votre Majesté si le zèle que j’éprouve pour Elle depuis tant d’années m’inspire aujourd’hui la confiance de lui parler en toute franchise. Mais que Votre Majesté me permette de le lui dire : il m’est impossible de voir dans cette manière d’agir l’intérêt de Votre Majesté. Puisse Dieu la conserver pendant maintes et maintes années : mais si, un jour, arrivait jamais un malheur, ou que Votre Majesté vînt à fermer les yeux, il est trop facile de prévoir qu’aussitôt quelqu’un surgirait qui, par intérêt personnel, prendrait les armes en faveur du pape, et Dieu sait à quoi aboutirait l’aventure ! Bientôt Votre Majesté aura un enfant, un successeur : il convient donc qu’Elle pense à consolider son pouvoir. Au nom de Dieu, Sire, trouvez un moyen de vous accorder avec le Saint-Père !


Le 5 novembre 1810, les études préparatoires du buste de Marie-Louise se trouvèrent décidément achevées. Napoléon, après avoir encore admiré la maquette, approuva vivement le projet qu’avait formé l’artiste de donner à sa statue les attributs de la Concorde, en ajoutant que l’expression joyeuse de la figure répondrait le mieux du monde à cette signification symbolique. Puis il demanda au sculpteur de passer par Fontainebleau, lorsqu’il se remettrait en route pour Rome : mais Canova s’excusa d’avoir choisi déjà un autre itinéraire. « Soit, lui dit l’Empereur, faites comme vous voudrez ! » Ce sont les dernières paroles que nous rapporte son journal, les dernières qu’il ait entendues jamais de la bouche de Napoléon ; et lui-même nous a avoué que bien souvent l’écho de ces entretiens familiers lui est revenu tristement à l’esprit lorsque, cinq années plus tard, son maître Pie VII l’a, de nouveau, envoyé à Paris, — mais cette fois pour obtenir des vainqueurs de Waterloo la restitution des chefs-d’œuvre amoncelés jadis-au. Louvre par le jeune héros qui, avec une bonne grâce et une cordialité sans pareilles, avait daigné l’honorer de son amitié.


T. DE WYZEWA.