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formule était heureuse, et elle exprime assez bien le sens secret, parfois un peu voilé, et l’orientation générale de la plupart des livres que M. Bourget avait publiés jusqu’alors. Jusqu’à quel point se vérifie-t-elle dans la série des romans qui va du Disciple à l’Étape ? C’est la question que l’auteur lui-même nous invite à nous poser.

Il ne semble pas tout d’abord que M. Bourget ait sensiblement changé sa manière, et Un Cœur de femme (1890), qui suivit immédiatement le Disciple, aurait fort bien pu lui être antérieur de plusieurs années. Il en est de même de la Physiologie de l’Amour moderne (1891), d’Idylle tragique (1896), de la Duchesse Bleue (1898), du Fantôme (1901). La facture en est peut-être plus serrée, la composition plus forte, bref, la maîtrise d’art plus grande ; l’inspiration n’en est pas loin d’être la même : c’est toujours l’analyse aiguë des passions coupables qui en forme le fond commun, et ce sont parfois les mêmes personnages qui y reparaissent. Cette relative similitude n’est point pour nous surprendre. Nous sommes, non point pour toujours, mais pour longtemps, les esclaves ou les prisonniers de nos premières œuvres ; nous les avons réalisées, parce qu’elles répondaient à certaines façons de penser et de sentir ; quelque effort que nous fassions pour nous en détacher, nous voyons le monde à travers elles ; et c’est de loin en loin seulement que le renouveau de notre être intérieur éclate et perce à travers nos livres, cherchant la forme plus adéquate qui, peu à peu, s’élabore en nous à notre insu. Le Disciple avait été un de ces momens-là. Le livre, certes, n’avait point dépassé la pensée de M. Bourget ; mais il y avait cependant mis plus de choses qu’il n’avait cru en mettre ; il n’en avait pas calculé froidement toute la portée ; dans la fièvre et la demi-conscience de la composition[1], il

  1. Enregistrons à ce propos cette curieuse déclaration d’une lettre déjà citée de M. Bourget à la Revue des Revues du 1er mars 1904 : « Encore aujourd’hui, un travail de commande (discours, article spécial) me paralyse un peu, ce que j’ai toujours attribué, depuis que je réfléchis à la psychologie de l’homme de lettres, à cette particularité que je ne compose qu’avec une demi-conscience. Il me faut un effort pour me persuader qu’un de mes livres imprimés et que je relis, même celui que je viens de finir, est réellement de moi. J’attache à la remarque que je viens de souligner une certaine valeur. J’y vois la preuve que l’inconscient est la partie la plus féconde de notre être, et c’est par celle observation que je suis devenu traditionaliste. »