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avec les émeutiers, qui n’ont consenti à se disperser que si les troupes se retiraient. Voilà les spectacles auxquels nous avons assisté : ils sont édifians. En tout cela, on cherche le gouvernement. Il faut remonter assez haut dans notre histoire pour y rencontrer l’exemple d’une pareille défaillance de sa part. Elle a dépassé toute mesure sur le terrain des événemens ; elle a présenté les mêmes caractères au Parlement.

Il y a eu, en effet, plusieurs discussions à la Chambre et au Sénat. Une première escarmouche a eu lieu au Sénat au commencement d’avril. M. Rambourgt, sénateur de l’Aube, plaidait avec chaleur la cause de son département ; il protestait contre les délimitations, et le Sénat était visiblement avec lui. Que fallait-il, à l’entendre, pour sortir de la situation fausse où on se trouvait ? Un nouveau décret auquel le Conseil d’État serait chargé de mettre la main. — Nullement, a déclaré M. le président du Conseil ; le Conseil d’État a épuisé sa délégation législative ; un décret serait désormais insuffisant, il faudrait une loi. — Six jours plus tard, M. Monis faisait savoir à la Chambre qu’il avait saisi le Conseil d’État de la question et que, non content de lui demander d’élaborer un décret, il l’avait érigé en tribunal qui déciderait en quelque sorte souverainement. En somme, le gouvernement désirait, demandait un ajournement ; il l’a obtenu ; une motion qui l’invitait à préparer un projet de loi en vue de supprimer les délimitations régionales et de fortifier, en la facilitant, l’action des syndicats en matière de répression des fraudes a été renvoyée à la Commission d’agriculture. Mais les choses pouvaient-elles rester ainsi ? Le Sénat pouvait-il laisser passer sans mot dire l’étrange moyen que le gouvernement avait trouvé de se tirer d’affaire en rejetant sur le Conseil d’État la responsabilité qui lui appartenait ? Une telle attitude n’était ni correcte, ni courageuse ; aussi lorsque M. le président du Conseil, à qui elle avait réussi à la Chambre, l’a prise au Sénat, une protestation presque unanime a commencé à gronder contre lui. M. Monis n’a pas paru comprendre d’abord sur quoi elle reposait ; il se faisait de plus en plus petit : — Je promets, disait-il, de n’exercer aucune influence sur le Conseil d’État ; il jugera comme un tribunal ; je lui soumettrai un décret en blanc, qu’il rédigera lui-même comme il voudra et devant lequel je m’incline d’avance. — Les interruptions partaient de tous les côtés ; on faisait remarquer à M. le président du Conseil que le Conseil d’État ne pouvait être un tribunal qu’en matière contentieuse, et qu’en matière administrative, il se bornait à donner des avis sur un projet de décret dont le gouvernement avait