Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils ont exprimé ce dépit devant la Chambre. Mais pourquoi les Compagnies, après avoir réintégré ceux de leurs cheminots qui s’étaient le moins compromis dans la grève, ont-elles cru devoir fermer la porte aux autres ? Sont-elles donc dénuées de « bonté ? » Elles ont prouvé le contraire en donnant des secours aux cheminots qu’elles ne reprenaient pas et en leur facilitant l’entrée dans d’autres industries ; leur action, à ce dernier point de vue, a même été si efficace que, dans certaines Compagnies, il ne reste presque plus de cheminots qui n’aient déjà trouvé du travail. Alors, insiste-t-on, si les Compagnies estiment que les cheminots qu’elles ne reprennent pas peuvent fournir un bon travail, si elles les recommandent, si elles les appuient ailleurs, pourquoi ne les réintègrent-elles pas chez elles ? La raison en est simple : les Compagnies veulent que les responsabilités encourues par les ouvriers qui se mettent en grève soient sérieuses et réelles. Si les ouvriers peuvent se mettre en grève sans courir aucun risque, si, lorsqu’ils auront rompu le contrat de travail, ils peuvent le reprendre quand et comme ils le voudront, que le patron lui-même le veuille ou non, les conséquences pour l’avenir en seront très graves. Il règne à ce sujet des confusions qu’il faut dissiper. Quelques jours avant le débat parlementaire sur les cheminots, M. Monis a reçu quelques-uns d’entre eux, et, d’après le journal l’Humanité, il leur a tenu ce langage : « Au fond, je comprends très bien comment vous avez agi. Un ministre et un président du Conseil ont reconnu à la tribune votre droit à la grève : ces déclarations, je les ai moi-même entendues. » M. Monis les a entendues, mais non pas jusqu’au bout. Le ministre qui les a faites est M. Barthou. Il a été imprudent, certes : le cas psychologique de M. Monis en est la preuve. Il faut éviter ces déclarations qu’il est trop facile de détacher de ce qui les précède et de ce qui les suit et qui deviennent alors dans certaines mains des armes dangereuses. Cependant ni M. Barthou, ni M. Clemenceau qui était alors président du Conseil, n’ont été aussi encourageans pour la grève qu’on les en accuse, car, après avoir reconnu aux ouvriers des chemins de fer le droit de la faire, ils ont reconnu aux Compagnies celui de les remplacer aussitôt : « J’ai dit, a expliqué M. Barthou, qu’au regard de la loi pénale, les ouvriers et employés de chemins de fer pouvaient user du droit de grève qui ne leur était pas interdit par la loi, mais je me suis bien gardé de dire que la grève n’était susceptible d’entraîner pour eux aucune espèce de responsabilité. Le Sénat a paru surpris lorsque j’ai rappelé que les Compagnies pouvaient, en cas de grève, demander des